Noa est un jeune footballeur d’un club de quartier à Marseille. Milieu de terrain, gaucher, il est passionné par le football et son père voit en lui un futur grand joueur. Noa me dit faire plus de 500 « jongles » pied gauche et un peu moins pied droit ... Elève de 5ème à 11 ans, il mesure 145 cm pour 35 kg. 

Ce dimanche, en match amical avec son club, il va au contact d’un adversaire pour jouer le ballon, mais en freinant, il bloque son pied gauche dans le synthétique et sent « comme son genou qui tourne », avec un ressenti de craquement et une douleur importante. Il arrête le jeu immédiatement. Aux urgences, la radiographie ne retrouve aucune fracture, ni arrachement. Il quitte l’hôpital avec une attelle et la consigne de consulter un médecin du sport.

Je le vois deux jours après. Il marche en boitant avec un appui pointe de pied quand il enlève l’attelle. Le genou est gonflé, avec un épanchement à +. Il a l’extension quasi complète, mais une flexion limitée. Le Lachman est positif, sans laxité exagérée, mais surtout sans arrêt dur. Il n’y a pas de laxité latérale. La ponction ne ramène que très peu de liquide, juste quelques gouttes de sang. L’IRM passée dans la journée confirme la rupture du LCA, au plafond (voir images ci-dessous). Le radiologue parle « d’une rupture au minimum partielle, mais vraisemblablement complète du ligament croisé antérieur avec un épanchement articulaire ».

Un avis orthopédique est donc nécessaire. Chirurgie ou traitement fonctionnel ? Les parents souhaitant plusieurs avis, deux RV sont pris auprès de chirurgiens pédiatriques sur Marseille. Les deux ont un avis sensiblement identique 15 jours après l’entorse. Leur examen est globalement rassurant. Ils ne retrouvent plus de Lachman, ni de tiroir antérieur. La rupture leur semble plus partielle que totale. Ils proposent donc une rééducation intensive et une nouvelle évaluation clinique avec une IRM dans les 6 semaines pour l’un, à 3 mois pour l’autre. La reprise du football est envisagée après ce bilan, dans les 3 mois. Seule l’existence d’une instabilité fera prendre la décision d’une chirurgie. 

En même temps que je discute du cas personnel de Noa, je me propose alors de les interroger sur les ruptures du LCA chez l’enfant en général. Voici un résumé de leurs réponses. 

Les ruptures du LCA chez l’enfant sont-elles plus fréquentes que par le passé ?

Oui, le nombre de ligamentoplastie du LCA pour les moins de 18 ans au Royaume Uni a été multiplié par 29 entre 1997 et 2017. Et ceci est lié en particulier à l’augmentation du nombre des centres de formation pour mineurs, l’augmentation des lycées sport-études et l’accès facile à l’IRM.

Les terrains synthétiques ne sont-ils pas un facteur de risque en soi ?

Ils seraient tentés de répondre oui, mais aucune étude ne le démontre formellement. 

Sont-elles le plus souvent isolées ?

Dans la moitié des cas, on retrouve des lésions du ménisque médial (le ménisque latéral est atteint secondairement si une stabilisation chirurgicale est retardée). Dans un tiers des cas, on retrouve une association lésionnelle avec le ligament collatéral médial.

Quelle solution préconisez-vous ? Chirurgicale ou non et selon quels critères ? Et dans quel délai après la rupture ?

Chez les impubères, il est recommandé un traitement conservateur sauf s’il existe une atteinte méniscale et/ou plus de deux épisodes d’instabilité/an. Chez les pubères, on propose un traitement chirurgical d’emblée. Le délai est de l’ordre de deux mois suivant la rupture afin d’intervenir sur un genou sec, avec des amplitudes proches de la normale et un bon tonus musculaire. Comme chez l’adulte finalement.

En cas de chirurgie, quel geste réalisez-vous ?

Selon la littérature, les techniques se valent : 

  • Si le cartilage de croissance est ouvert : tunnel sous physaire au fémur et transphysaire au tibia
  • Si le cartilage de croissance est fermé : tunnel transphysaire pour fémur et tibia

Pour le prélèvement, la préférence va au DT4 ou DIDT.

Quelles sont les consignes post-opératoires ? Sont-elles différentes de l’adulte ?

Les consignes postopératoires directes diffèrent peu de l’adulte, avec le port d’une attelle pour 15 jours, jusqu’au verrouillage du genou. L’appui est immédiat et complet, en béquille initialement. La rééducation suit le même protocole que l’adulte. En revanche, la reprise sportive est retardée parce que la littérature a retrouvé un taux de re-rupture plus important que chez l’adulte si la reprise se fait avant 12 mois postopératoire (ligamentisation du transplant plus lente chez l’enfant). Un test isocinétique est proposé à 6 mois pour évaluer la récupération de force, la reprise du sport dans l’axe est envisagée à 9 mois et le sport de pivot à un an.

Quel est l’avenir de ces genoux ? Est-ce un frein pour la pratique du football de haut niveau 10 ans après ?

La littérature a montré qu’environ 2/3 des enfants reprennent les compétitions au niveau antérieur à la rupture. Pour en savoir plus sur la prise en charge des entorses du genou chez l’enfant, je vous propose la lecture d’un article écrit par l’équipe du service d’orthopédie pédiatrique de la Timone à Marseille et paru en 2021 dans le journal de chirurgie orthopédique et traumatologique (1). 

Au final, la rupture du LCA chez l’enfant est un vrai tord-boyaux. Certes il n’y a pas d’urgence à opérer, mais on sait qu’il ne faut pas trop tarder en cas d’instabilité du genou au risque d’abîmer les structures périphériques. La discussion sur la rupture, partielle ou totale, est la même que chez l’adulte. Et pendant ce temps-là, l’enfant ne s’amuse plus dans les cours d’école, ne fait plus de sport, ne joue plus au football, ce qui nuit grandement à ses acquisitions neuromotrices dans le cadre d’une pratique sportive, haut niveau ou pas, pour le football, mais aussi pour d’autres sports encore plus techniques bien entendu. Et la chirurgie, quand elle est décidée, emmène encore l’enfant sur un long chemin de rééducation et réadaptation qui gêne sa progression. Dans cette attente, quand on décide de partir sur un traitement fonctionnel, il faut savoir tenir un discours positif à l’enfant et aux parents, tout en connaissant les suites possibles. Une vraie gageure. 

Enfin, pour ce qui est des terrains synthétiques, même si aucune étude ne le démontre, je reste persuadé, comme beaucoup, qu’ils sont responsables de nombre de ruptures du LCA, chez l’enfant comme chez l’adulte, surtout si le chaussage n’est pas adapté. C’est bien l’interface entre le pied et le sol, donc le type du terrain et de la chaussure, qui crée ce que les patients nous décrivent comme « un genou qui tourne et craque, sans contact avec l’adversaire, le pied bloqué au sol ». Les crampons à lamelles ou à chevrons sont ainsi contre-indiqués sur les synthétiques, car trop « bloquants ». Les petits crampons ronds ou coniques doivent être privilégiés, avec une répartition homogène sur toute la semelle, idéale pour pivoter sans blocage. Dernier élément qui a son importance. Normalement, le terrain synthétique doit être arrosé avant le match pour une pratique optimale et sécuritaire. C’est dans le cahier des charges des fabricants. Pas sûr que ce soit toujours la règle. Retenons qu’« il vaut toujours mieux glisser que bloquer sur un terrain synthétique ».