Deux footballeurs amateurs (28 et 32 ans) me consultent pour la même symptomatologie à 15 jours d’intervalle, à savoir une douleur aigüe à la face antérieure de cuisse, comme un coup de couteau au-dessus du genou, au cours d’un effort de sprint à l’entraînement après une séance de renforcement musculaire en salle. Le diagnostic de rupture distale complète du droit fémoral est déjà fait pour les deux patients qui souhaitent connaître la conduite à tenir, chirurgie ou pas, un mois après pour l’un et deux mois après pour l’autre. Au cabinet, la clinique est la même : pas de gêne fonctionnelle au quotidien (marche, montée et descente des escaliers), rétraction du droit fémoral au 1/3 moyen de cuisse avec un moignon encore sensible, puis encoche jusqu’au tendon quadricipital, saut unipodal difficile et diminution nette de la force musculaire du quadriceps pour celui qui n’avait pas débuté de rééducation. L’échographie retrouve une petite collection hématique au bout du moignon et un tissu cicatriciel qui se met en place. Je leur propose une prise en charge rééducative (soins antalgiques, massages drainants, travail de la mobilité, renforcement musculaire), sans intervention chirurgicale, en leur promettant une bonne récupération fonctionnelle. Seule la persistance de douleurs résiduelles pourrait amener à une chirurgie de « nettoyage ». Il leur faudra en revanche apprendre à vivre avec un quadriceps disgracieux, ce qui semblait gêner le plus âgé. 

J’ai posé quelques questions au Dr Nicolas Lefevre, chirurgien orthopédiste à la clinique du Sport à Paris, spécialisé dans la chirurgie du tendon. 

Quelle est la fréquence de la rupture distale du droit fémoral chez le sportif par rapport à la lésion tendineuse proximale ?

La rupture tendineuse ISOLÉE distale du droit fémoral est rare par rapport à la rupture proximale1–7. Nous ne disposons pas du chiffre exact de la fréquence de cette pathologie. 

Il est plus que probable que la fréquence est sous-estimée par manque de donnée.

 

Dans le contexte des ruptures partielles du quadriceps distal impliquant PLUS d'un tendon, Falkowski et al. démontrent que (Revue systématique IRM)8

  • La lésions du droit fémoral est plus fréquemment complète
  • Les couches superficielles (25,7%) et moyennes (25,1–26,8%) du tendon du quadriceps se rompent plus fréquemment que la couche profonde (22,4%).
  • Les couches du tendon se rompent plus fréquemment à proximité de la rotule (84,8–93,6% des cas).
  • Une avulsion osseuse est associée à des déchirures de grade supérieur du RF, VM et VL (p = 0,020–0,043), mais pas du VI.
Qu’est-ce qui en fait sa spécificité ?

La spécificité du droit fémoral réside dans le fait qu’il a une grande proportion de fibres de type II, ce qui lui permet de se contracter plus rapidement et plus puissamment que les autres muscles du quadriceps. Il est trop sollicité surtout durant la contraction excentrique. De plus, c'est le seul muscle bi-articulaire du complexe du quadriceps2,9.

Sur le plan chirurgical, le tendon est superficiel, et la plupart des ruptures se produisent à une distance de 1 à 2 cm du pôle supérieur de la rotule. La réparation aigue est exceptionnelle. Quand le traitement chirurgical réparatoire est posé, il s’agit d’une résection de la fibrose, suture sur le muscle sous-jacent musculaire en rétablissement dans la limite du possible la longueur musculaire. Un renfort fascial ou tendineux local peut être utilisé2,4.

Quels sont les sports à risque et les gestes lésionnels ?

Les sports à risque sont ceux qui impliquent du sprint, de la course et des coups de pied, comme le football. Le mécanisme de blessure met souvent en jeu une contraction simultanée du muscle pour une extension du genou et une flexion de la hanche, actions couramment effectuées dans le football2–4.

De quel bilan complémentaire a-t-on besoin ?

L'échographie peut servir de premier outil de diagnostic en raison de sa rapidité et de son faible coût, mais elle est moins précise pour évaluer la gravité des lésions profondes. L'IRM, bien que plus coûteuse et moins accessible, est l'examen de choix pour un diagnostic détaillé. Elle permet non seulement d'évaluer la gravité et la localisation de la lésion, mais aussi de confirmer s'il s'agit d’une pseudotumeur (souvent la présentation) dû à une réaction fibrotique secondaire à la rétraction du tendon déchiré et éviter donc une biopsie non nécessaire3–7.

Quelle est l’évolution naturelle de cette lésion en l’absence de prise en charge médicale ?

Le traitement non chirurgical s'est avéré satisfaisant dans la plupart des études, avec une récupération de la force motrice documentée dans l'étude de Figved et al3–7.

Le traitement peut-il ou doit-il être chirurgical ? Et quelles en seraient les indications (sportif haut niveau, âge …) ?

Le traitement est souvent médical car la pathologie se manifeste principalement par une gêne et une masse, sans être généralement délétère ou incapacitante sur le plan fonctionnel. La symptomatologie peut varier, allant de l'absence de douleur à une faiblesse musculaire localisée et/ou une douleur chronique3–7. Dans les cas où la lésion est chronique et résiste au traitement médical, une intervention chirurgicale peut être envisagée. Ceci est particulièrement vrai pour les jeunes athlètes ayant des blessures récurrentes ou des douleurs chroniques au site de la blessure3–7.

Sans chirurgie, peut-on promettre au sportif, avec une prise en charge adaptée en kiné, une très bonne récupération fonctionnelle et une reprise des activités physiques et sportives au niveau antérieur ?

Oui on peut. Selon l'étude de Temple et al., la majorité des patients (86%) ont retrouvé leur niveau d'activité antérieur sans chirurgie. Les symptômes initiaux étaient souvent vagues et la douleur n'était pas invalidante. Un suivi à long terme a montré peu de changements dans la lésion et peu de déficits fonctionnels4. Selon l'étude de Figved et al., le patient, un skieur expérimenté, a été traité non-chirurgicalement. Malgré la présence d'une masse palpable et de légères douleurs après des activités intenses, il n'y avait pas de déficit fonctionnel notable. Les tests isocinétiques ont montré une faible réduction de la force du côté blessé par rapport au côté non blessé. De plus, le patient a repris ses activités de ski et a signalé de légers problèmes uniquement en sautant et dans des activités récréatives, avec un score de 96,3 sur 100 à l'échelle fonctionnelle du membre inférieur (LEFS). Le résultats des tests isocinétique à 1 ans montre un LSI>90%6.

Sur un test isocinétique, quelle récupération de force du quadriceps peut-on envisager, avec ou sans chirurgie ?

Sans chirurgie, bien que la faiblesse musculaire puisse être l'un des symptômes de la rupture, ce n'est pas toujours le cas. Le traitement non chirurgical s'est avéré satisfaisant dans la plupart des études, avec une récupération de la force motrice documentée dans l'étude de Figved et al. avec LSI>90% à 1 ans et un résultat satisfaisant à 1 ans6.

Les résultats du traitement chirurgical ne sont pas bien documentés dans la littérature. Par expérience personnelle ils sont satisfaisants. Si la longueur du tissu musculaire est diminuée par la cicatrisation, la correction de la longueur et le débridement des adhérences peuvent conduire à une fonction plus dynamique du muscle.

  1. McMaster PE. Tendon and muscle ruptures. Clinical and Experimental Studies on the causes and Location of Subcutaneous Ruptures. July 1933:705-722.
  2. Lempainen UL. Complete midsubstance rectus femoris ruptures: a series of 27 athletes treated operatively. Urheiluortopedi Lasse Lempainen. Published October 25, 2018. Accessed April 26, 2023. 
  3. Rask MR, Lattig GJ. Traumatic fibrosis of the rectus femoris muscle. Report of five cases and treatment. JAMA. 1972;221(3):268-269.
  4. Temple HT, Kuklo TR, Sweet DE, Gibbons CLMH, Murphey MD. Rectus Femoris Muscle Tear Appearing as a Pseudotumor. Am J Sports Med. 1998;26(4):544-548. doi:10.1177/03635465980260041301
  5. Weber M, Knechtle B, Lutz B, Stutz G, Baumann P. Nonoperative Treatment of a Complete Distal Rectus Femoris Muscle Tear. Clinical Journal of Sport Medicine. 2010;20(6):493-494. doi:10.1097/JSM.0b013e3181fb5385
  6. Figved W, Grindem H, Aaberg M, Engebretsen L. Muscle strength measurements and functional outcome of an untreated complete distal rectus femoris muscle tear. Case Reports. 2014;2014(nov05 1):bcr2013203191-bcr2013203191. doi:10.1136/bcr-2013-203191
  7. Matar HE, Sanger R. Isolated distal rectus femoris rupture. Br J Hosp Med. 2019;80(10):617-617. doi:10.12968/hmed.2019.80.10.617
  8. Falkowski AL, Jacobson JA, Hirschmann MT, Kalia V. MR imaging of the quadriceps femoris tendon: distal tear characterization and clinical significance of rupture types. Eur Radiol. 2021;31(10):7674-7683. doi:10.1007/s00330-021-07912-y
  9. Sonnery-Cottet B, Barbosa NC, Tuteja S, et al. Surgical Management of Rectus Femoris Avulsion Among Professional Soccer Players. Orthopaedic Journal of Sports Medicine. 2017;5(1):232596711668394. doi:10.1177/2325967116683940