Nul doute qu’entre Jean-Paul Bertrand-Demanes, dit « le grand » pour son mètre 92, gardien historique du FC Nantes des années 70 à 80 (650 matchs pour les canaris de 69 à 87, 4 titres de champion de France en 73, 77, 80 et 83, une Coupe de France en 79, 11 fois international, participation à la Coupe du Monde 78, auteur d’un livre dont je vous conseille la lecture « Stade 4, le match de ma vie ») et Hugo Lloris dont le premier match remonte à 2005 (719 matchs en club à l’OGC Nice, l’OL et les Tottenham Hotspurs, série en cours, recordman des sélections en Equipe de France, 145 à ce jour, série en cours, champion du Monde 2018 et vice-champion du Monde 2022), les temps ont bien changé pour les gardiens de but (GdB). Tant dans les caractéristiques du jeu et du poste (développement du jeu au pied par exemple) que dans le profil athlétique (« plus vite, plus haut, plus fort », comme la devise des Jeux Olympiques modernes), le bagage technique et le contenu des séances d’entraînement (apparition des entraîneurs spécifiques de GdB à la fin des années 80), l’approche du poste n’est plus du tout la même aujourd’hui pour les plus jeunes. Dès l’âge de 10-12 ans et plus encore en centre de préformation, ils enchaînent les séances spécifiques, comme les adultes, pour devenir, selon les propos de Franck Raviot (entraîneurs des GdB en Equipe de France depuis 2010), « un joueur à part entière, un athlète. Là où il était réduit à un joueur de mains, un joueur de ligne avec relativement peu de rayonnement en dehors de sa surface de réparation, c’est aujourd’hui un gardien de but qui doit gérer l’espace, la profondeur, des distances, qui doit aller beaucoup plus vite dans tout ce qu’il fait. La notion de vitesse est très liée à ce poste de nos jours, vitesse de déplacement, de lecture du jeu et vitesse d’exécution donc. Il doit être le plus complet possible, pouvoir s’imposer dans les airs, avoir une fluidité dans tous les gestes. »

Un article paru courant 2022 (revue de la bibliographie) (1) fait une synthèse très intéressante du profil des GdB (profil athlétique, type d’efforts en match, incidence des blessures) et nous donne l’occasion d’évoquer le poste « le plus à part » du football. Je vous propose d’en lire les grandes lignes, auxquelles j’ai rajouté quelques commentaires personnels, ceux de Franck Raviot donc et ceux d’Hugo Lloris sur la base d’une interview parue dans le journal L’Equipe le 8 décembre dernier. 

Fiche anthropométrique 

Dans la catégorie des seniors élites, les GdB mesurent entre 180 et 190 cm de haut et pèsent entre 81 et 89 kg, alors qu’en seniors semi-professionnels et amateurs la taille moyenne varie entre 181 et 187 cm et la masse corporelle entre 73 et 84 kg. Dans tous les travaux où les GdB sont comparés à d'autres postes, ils ont tendance à être plus grands, plus lourds et avec des pourcentages de masse grasse plus élevés. 

Commentaire : 

Les paramètres biométriques sont bien le reflet de la réalité. Les gardiens de but sont plus grands et plus lourds que les joueurs de champ. On tombe presque dans la caricature du Petit Nicolas et de nos cours d’école avec Alceste dans les buts : « « Il est bien, Alceste, comme goal : il est très large et il couvre bien le but ». Plus le niveau du gardien de but est élevé, plus sa masse corporelle et sa taille sont élevées. On retrouve ainsi cette différence en Equipe de France où la taille, le poids et la masse grasse sont respectivement de 192 cm, 92 kg et 11% de masse grasse pour les gardiens de but, contre 183 cm, 83 kg et 9% pour les défenseurs et milieux de terrain et enfin 176 cm, 74 kg et 8,5% pour les attaquants. Franck Raviot constate que « s’il ne fait pas partie de ceux qui pensent qu’il faut être un géant pour jouer à un haut niveau, force est de constater aujourd’hui qu’un gardien qui fait moins de 185 cm pourra se trouver en difficulté. Certains compensent cette relative moyenne taille par des qualités athlétiques au-dessus de la moyenne, par des relations au jeu très fines, très développées également. » 

Sprint et saut, expression de la puissance anaérobie alactique

Les résultats varient d’une étude à l’autre. Quelle que soit la catégorie d’âge, il n’existe pas de grandes différences entre joueurs de champ et gardiens de but sur les tests de sprint à 5 m, 10 m, 20 m et 30 m. Les temps mesurés pour les GdB élite seniors sont les suivants : 

  • sur un sprint de 5 m : entre 1,45 et 1,46 sec
  • sur 10 m : en moyenne en 2,35 sec 
  • sur 20 m : en moyenne entre 3,51 et 3,12 sec 
  • sur 30 m : en moyenne en 4,26 sec. 

Les GdB élite seniors sautent entre 35 et 46 cm au squat jump (SJ) et entre 35 et 48 cm au saut à contre-mouvement (CMJ), c’est-à-dire sans l’aide des bras à l'impulsion. De 16 à 19 ans, le SJ oscille entre 30 et 41 cm et le CMJ entre 32 et 42 cm. De 10 à 14 ans, le SJ se situe à 21 cm de moyenne et le CMJ à 28 cm. 

Commentaire : 

Les mesures de puissance maximale anaérobie (saut, sprint sur 10, 20 et 30 mètres) ne montrent pas de grande différence avec le joueur de champ. Le gardien est naturellement « explosif », un « jumper » pour sortir vite dans les pieds, plonger ou prendre un ballon dans les airs. Sans aucun doute, tout entraîneur qui travaille avec des gardiens de but doit donner la priorité aux exercices physiques à haute intensité comme le saut, le sprint et l'agilité plutôt qu’au travail de la capacité aérobie. D’ailleurs, ce travail de puissance anaérobie est indissociable du travail de force, de déplacement, de la mobilité en général et du travail technique. Hugo Lloris nous apprend ainsi « qu’il travaille beaucoup les déplacements d’un point A à un point B, et qu’il accorde beaucoup d’importance, depuis quelques années, au travail en salle, qui permet de garder de la masse musculaire dans les jambes et de travailler l’explosivité. Ainsi, deux ou trois jours avant un match, en fonction des périodes, il peut faire du travail plus spécifique sur le déplacement, sur la poussée, en salle et sur le terrain. »

Force

Six études ont analysé la force musculaire des quadriceps, des ischio-jambiers, des adducteurs et abducteurs de hanche chez les seniors. Les GdB sont les joueurs qui affichent les valeurs les plus élevées en force excentrique et concentrique, bien qu'ils soient dépassés par les milieux de terrain et les défenseurs centraux lorsque la mesure est rapportée au kilo de poids. 

Commentaire : 

La force musculaire va de pair avec les paramètres de saut et détente. C’est naturellement un point fort du GdB. Le travail réalisé en salle contribue à bonifier ce point. Hugo nous apprend sa façon de travailler : « Quand j’ai commencé avec Mauricio Pochettino et Toni Jimenez à Tottenham, il y avait une machine, le Vertimax : on attache une corde au niveau du bassin, ça amène une résistance, et tu te déplaces. On a même mis la machine dehors, parfois, pour transférer avec le ballon sur certaines situations. En salle, on travaille avec des élastiques de différentes résistances, des cellules de couleur pour se déplacer et se replacer vite, des cerceaux, des haies, et des poids assez légers. Très jeune, je n’avais pas besoin de tout ça, mais pour me maintenir, je combine désormais les deux, la salle et le terrain. Le premier qui m’ait fait bosser ça, c’est Joël Bats (à Lyon), qui attachait beaucoup d’importance au jeu de jambes du gardien. On était en phase. Quand on avait un match par semaine, on descendait à Tola-Vologe dans la salle des machines, comme il l’appelait, et on faisait chaise, presse et bancs, et après des courses en côte sur quinze mètres. C’était top.»

Capacité aérobie 

Dix-sept études déterminent la capacité aérobie des GdB selon des méthodes différentes. Certains auteurs utilisent des tests incrémentaux maximaux d'une minute avec des gardiens seniors professionnels (vitesse maximale aérobie moyenne de 15,4 km/h). Sur des mesures de VO2max, chez des seniors professionnels et semi-professionnels, les mesures directes oscillent entre 50 et 52 ml.kg−1.min−1. Dans tous ces articles, les GdB ont une valeur inférieure à celle des joueurs de champ. En revanche, si on mesure la capacité à répéter des actions à haute intensité comme des sprints, les GdB obtiennent des valeurs très similaires aux joueurs de champ.

Commentaire : 

Le développement de la filière aérobie n’est pas un facteur déterminant de la performance des GdB. La VMA et donc les paramètres aérobies (puissance et capacité) sont infailliblement plus faible chez eux. Rien n’est fait à l’entraînement pour les développer et ce ne sont pas les distances parcourues en match qui vont les faire progresser (4 à 6 km). On retrouve cependant quelques exceptions au plus haut niveau. J’ai le souvenir de Grégory Coupet ou encore Mickaël Landreau qui avaient des VMA avoisinant les 17 km.h-1 sur un test Vaméval sur le terrain synthétique de Clairefontaine. Franck Raviot nous apprend «  qu’une base d’endurance est importante chez le GdB. C’est un élément qui va lui permettre de mieux traverser une séance d’entraînement, de mieux répéter certains efforts. Il ne faut pas en faire un coureur à pied, il ne va pas courir beaucoup de kms en match. Il doit être sur un travail de vitesse beaucoup plus court, un travail de démarrages sur 5, 10 et 15 mètres. Mais l’endurance reste un socle. Et puis ce travail d’endurance va permettre une bonne évaluation du mental du gardien (sur un test Vaméval par exemple, mais aussi sur des séances de travail intermittent). On peut ainsi mesurer sa capacité de dépassement de ses limites. »

Mobilité 

Seuls 4 articles ont pu être utilisés. Il n’y a pas de grande différence avec les joueurs de champ, sauf peut-être sur la mobilité de hanche dans deux études (psoas, droit fémoral), laquelle serait plus élevée chez les GdB. 

Commentaire : 

Instinctivement, nous ne sommes pas étonnés de retrouver de très bonnes amplitudes articulaires chez le GdB. C’est pour lui la garantie d’aller chercher des appuis, des ballons un peu plus loin encore que ce qu’il est permis d’envisager. Hugo nous en fait part un peu plus loin. 

Profil de charge externe  

Les auteurs ont été capables d'analyser 12 études avec un total de 425 participants, tous professionnels :

  • la distance parcourue par les GdB pendant la compétition varie entre 4183 m et 5985 m, dans tous les cas inférieure à la distance parcourue par les joueurs de champ
  • la distance parcourue à haute intensité varie entre 67 et 346 m et dure 1 % du temps de jeu 
  • les GdB exécutent entre 13 et 24 actions défensives, entre 4 et 15 sauts, 30 actions dans lesquelles ils organisent le jeu d'équipe, 8 changements de direction, 16 et 56 actions à haute intensité, 37 accélérations dont 11 explosives et 36 décélérations dont 5 explosives.

Commentaire :

On comprend vite que les distances parcourues sont moitié moins importantes que les joueurs de champ et que la majorité des efforts qui seront déterminants dans le jeu se font à haute intensité. Je reprends les mots d’Hugo : « Aujourd’hui où il y a beaucoup de transitions rapides. On peut être très haut, et soudain très bas. On a plusieurs points de référence dans la surface, la demi-lune, l’entrée de la surface, le point de penalty, les six mètres, on sait toujours où on est. Plus jeune, sur les terrains en terre, je traçais une ligne au milieu des buts pour avoir un meilleur repère ... Se relever très vite va avec la qualité du jeu de jambes. Les premiers appuis sont très importants … Parfois, face à l’attaquant, tu vas réduire l’angle et être en réaction, et parfois, tu as le temps d’avoir un pas d’ajustement. C’est souvent en deux temps, un plongeon, tu ne pousses pas directement, mais si tu arrives à gagner de la vitesse avec un appui, tu peux gagner quelques centimètres. Un gardien avec une grande envergure va peut-être simplement avancer et réduire l’angle, sans chercher le deuxième pas, moi j’ai besoin de ce deuxième pas (Lloris mesure 1,88 m). Après, la poussée vers le bas ou vers le haut n’est pas la même. Et il y a aussi les déplacements sur les ballons aériens. Avant, on avait plus de temps. Aujourd’hui, les ballons vont très vite, il faut enchaîner prise de décision, course et impulsion dans le temps le plus réduit possible, avec une bonne coordination … Sur les sorties aériennes, il vaut mieux être confortable avec les deux pieds pour l’appui. Et bien sûr, c’est la vieille école, il faut lever l’autre genou pour se protéger … Quand j’ai démarré, il y avait une grande différence, dans le déplacement, entre un très grand gabarit et les gardiens d’1,80 m environ, comme Fabien (Barthez), Greg (Coupet) ou Teddy Richert. Aujourd’hui, (Thibaut) Courtois et (Manuel) Neuer vont très vite aussi. Buffon, lui, jouait sur l’envergure. L’exemple, c’était Barthez, parce qu’il allait loin, haut, qu’il était bondissant. »

Incidence des blessures 

Dans la plupart des études, les GdB ont un risque de blessure plus faible que les joueurs de champ (incidence pour 1000 heures de jeu qui varie entre 6,48 et 12,92 et entre 4,5 et 8,1% du total des blessures au football). La plupart des blessures (88,5 %) surviennent à l'entraînement et les GdB subissent moins de blessures par contact. Parmi celles-ci, entre 52,5 et 71,6 % sont localisés aux membres inférieurs, majoritairement à la hanche et au genou. Les gardiens ont plus de blessures à la tête et aux membres supérieurs que les joueurs de champ. Aux membres supérieurs, les blessures les plus fréquentes sont :

  • les entorses acromio-claviculaires
  • la luxation antérieure de l'épaule
  • les déchirures de la coiffe des rotateurs
  • l’entorse du ligament collatéral médial du coude
  • les fractures et les entorses aux mains et aux poignets

Aux membres inférieurs, les pathologies les plus fréquentes sont : 

  • la contusion de hanche au sol sur les réceptions/plongeons 
  • les entorses du ligament collatéral médial du genou
  • les entorses du ligament collatéral latéral de cheville
  • les déchirures musculaires de cuisse, des adducteurs et du mollet.

Les GdB présentent moins de déchirures des muscles ischio-jambiers, tout comme les ruptures du ligament croisé antérieur du genou, beaucoup plus fréquente chez les joueurs de champ (1 contre 76). 

Commentaire : 

Il est très logique de retrouver un plus grand nombre de blessures des membres supérieurs par rapport aux joueurs de champ et moins de déchirures des ischio-jambiers (pathologie la plus fréquente chez le footballeur tous postes confondus, apanage des sprinteurs au football comme en athlétisme), lesquelles surviennent essentiellement sur des dégagements au pied chez les GdB (5 mètres 50 ou dans le jeu). Un point important est le rôle de l'apprentissage de la bonne technique de chute, car il aide à réduire les blessures par contusion de la hanche, assez fréquentes. Enfin, Franck Raviot nous rappelle « qu’il est très important de se concentrer sur les aspects techniques spécifiques du gardien de but pour améliorer sa performance, mais aussi réduire le risque de blessure, en ajoutant toujours un travail de renforcement musculaire du tronc, des membres supérieurs et inférieurs, avec un accent particulier pour les épaules, les hanches et les genoux. »

  1. The soccer goalkeeper profile: bibliographic review Markel Perez-Arroniza , Julio Calleja-González , Jon Zabala-Lilib and Asier Zubillaga The Physician and Sports Medicine – 2022, 25, 1-10.