Je vous ai proposé, dans un post précédent, la lecture d’un document de la FFF sur la rééducation du genou après plastie intra-articulaire au DIDT et retour externe antéro-latéral. Ce document écrit par l’équipe médicale de Clairefontaine reprend dans le détail la prise en charge du footballeur, de J0 au retour sur le terrain. 

Nous avons déjà évoqué les 3 premières phases, depuis le post-opératoire immédiat jusqu’à la reprise de la course. Voici maintenant la seconde partie, depuis le Return to Run jusqu’au Return to Play (RTP). 

Phase 4 • De la rééducation à la réathlétisation - Sans pivot - Durée approximative : 4 à 6 semaines. Objectifs • Récupération des déficits restants (musculaire, proprioceptif, articulaire et pliométrique) • Développement des capacités cardio-vasculaires et musculaires globales (course sur le terrain) • Réintroduction de la gestuelle spécifique (en salle puis sur le terrain)

C’est le début de la course sur le terrain, de façon très progressive. On est encore dans la qualité du geste plutôt que dans la quantité, même si la gestion de la charge de travail globale se pose et nécessite d’être adaptée en fonction de la fatigue générée. Les auteurs utilisent pour cela le RPE (Rating of Perceived Exertion). La course nécessite une bonne récupération de la force musculaire de cuisse, entre autres. Nous avions l’habitude voilà plus de 20 ans de considérer qu’il fallait avoir moins de 50% de déficit sur le quadriceps et moins de 10% sur les ischio-jambiers avant de recourir dans les suites d’un Kenneth-Jones, moins de 30% de déficit sur le quadriceps et des ischio-jambiers symétriques après un Mac Intosh au fascia lata. Avec un DIDT, les critères sont différents, on est tout aussi exigeant pour le quadriceps (moins de 30% de déficit), un peu moins avec les ischio-jambiers (30% également). 

LFC : Le test isocinétique est proposé avant de passer à la phase 4. Nécessite-il des mesures particulières ?

PM : Le genou doit être non inflammatoire. Il ne doit pas y avoir de douleur fonctionnelle ou musculaire notamment sur le site de prélèvement qui ferait perdre de la pertinence au test. L’extension doit être à 0°. 

LFC : Une première évocation de l’AlterG est faite en page 20. N’aurait-il pas été possible de démarrer ce travail en phase 3, en éducatif de course ? 

PM : Si. Entièrement d’accord et la course est alors un exercice de travail qualitatif et non une activité sportive. 

Les auteurs préconisent le recours à l’haltérophilie, ce qui semble assez paradoxal car très éloigné de la pratique du football. On comprend bien les objectifs (coordination, amplitudes, puissance et force) avec des charges annoncées comme légères. J’ai le souvenir d’un ancien lanceur de poids suisse qui n’a travaillé que quelques mois à l’OM car jugé responsable de nombreuses lombalgies dans le groupe olympien au début des années 2000 dans les suites d’exercices d’haltérophilie trop poussés. 

LFC : Est-ce vraiment utile de sortir les barres de musculation pour un footballeur ?

PM : On ne travaille pas avec des barres de musculation mais plutôt des haltères. 

Comme tu l’as dit, ce sont des exercices destinés à travailler la triple extension, l’explosivité et la force qui sont des éléments importants à récupérer pour les transposer dans l’activité de terrain par la suite. Ce n’est pas un passage obligé pour tous. Là encore, les besoins seront individualisés.

LFC : En page 21, tu évoques le fait « qu’à ce stade, la grande majorité des patients a récupéré les amplitudes passives complètes, mais qu’il peut persister chez certains un léger déficit d’extension (< 5°) et/ ou de flexion. Même si cela nécessite la poursuite d’un travail spécifique, cela ne doit pas empêcher la validation des étapes s’il n’existe pas de douleur, boiterie ou impact négatif sur la gestuelle ». Il me semble que lorsque l’on reprend la course, si on peut tolérer une limitation de flexion à 120°, l’extension doit être acquise (à 1° près) au risque de voir se développer une attitude vicieuse en flexum, difficile à récupérer ensuite et source de problèmes fémoro-patellaires. Quel est ton avis ?

PM : Nous devons tout faire pour récupérer une extension complète, mais la persistance d’un léger flessum inférieur à 5° ne doit pas nous empêcher d’avancer sur le plan fonctionnel. Bon nombre de sportifs professionnels présentent des genoux dégénératifs avec l’installation d’un léger flessum. Ce n’est pas l’idéal et je suis d’accord avec toi sur le facteur de risque de pathologie fémoro-patellaire, mais c’est une réalité à laquelle nous sommes parfois confrontés. 

Phase 5 • Phase d’intensification de la réathlétisation – Durée approximative : 4 à 6 semaines. Objectifs • Conditionnement énergétique • Force • Appuis : validation de tous les types d’appuis et de mouvements globaux et spécifiques à la discipline sur le terrain, jusqu’à intensité maximale. • Qualité et efficacité gestuelle globale et spécifique à la discipline • Acquisition des routines de prévention, d’activation et de récupération.

LFC : C’est le temps de travailler en pivot, de mettre en place des exercices d’appui avec rotation. C’est aussi l’heure de faire un test d’effort avec mesure de la VMA et des différents seuils pour adapter la préparation physique au mieux. Le retour au poids de forme est aussi l’un des objectifs à se fixer.  

C’est donc la période de passage de témoin avec le staff technique. Malgré cela, le médecin a-t-il encore son mot à dire sur le programme hebdomadaire ? 

PM : Bien sûr ! Déjà il doit s’assurer que la charge de travail est bien supportée, qu’il n’y a pas de pathologie pré existante qui referait surface lors de cette phase, que les messages qualitatifs sont bien passés et enfin il reste un interlocuteur du préparateur physique sur la progression physiologique des différentes qualités

Pour autoriser le passage à la phase 6 et donc valider le RTP, les auteurs proposent la validation d’un test isocinétique (moins de 10% de déficit, ratios normaux) et de tests fonctionnels symétriques comme le test K-Starts© (score composite sur 100 points, répartis sur divers tests : 

• Tests de saut comparatifs D/G : Single leg landing, Single hop test, Triple hop test, Side hop test, Crossover hop test – l’évaluation est quantitative et qualitative, notamment présence d’un valgus ou non

• Test de terrain « Illinois modifié » : c’est un test de course avec changement de direction rapide nécessitant l’utilisation des pivots, chronométré.

Phase 6 • Phase de réentraînement – Durée approximative : de l’entraînement de groupe au premier match. Objectifs • Reprendre de manière adaptée et progressive avec le groupe dans l’optique d’une reprise complète après cette « ultime » phase. • Être capable d’emmagasiner les charges d’entraînement appliquées. • Être capable de répondre positivement aux contraintes de l’entraînement en groupe (sollicitations énergétique, musculaire, technique, cognitive et mentale). • Être confiant dans sa reprise de pratique. • Exprimer ses qualités construites lors de la rééducation/réathlétisation dans le contexte de pratique normale de son sport.

C’est l’heure du Return To Play. Tous les critères sont validés pour une reprise dans le groupe, somme toute progressive. On continue à suivre le joueur dans cette dernière étape, à l’écoute d’éventuelles doléances. On sait que le risque de rupture de la plastie n’est pas nul, de même qu’il existe un risque de rupture controlatéral du LCA (jusqu’à 10 % selon les études). Ces chiffres nécessitent donc que l’on porte toute notre attention sur ces deux genoux après le RTP. 

LFC : As-tu été confronté à ce type de problème, rupture de plastie ou rupture controlatérale ? Et si oui, à quoi l’attribues-tu et quels seraient les axes de travail ?

PM : On va croiser les doigts. Nous n’avons pas eu ces derniers temps ce type de suite chez les joueurs pris en charge au CNF mais la littérature va effectivement dans ce sens. Pour moi, il est important de valider tous les critères qualitatifs, athlétiques et psychologiques avant le retour au jeu et à fortiori à la performance. La phase de réathlétisation doit être menée jusqu’au bout sans concession sur aucun domaine. 

A Clairefontaine, nous avons mis en place une batterie de tests nommée « 11toperf » qui balaye l’ensemble des éléments nécessaires, y compris une reproduction d’effort simulant une mi-temps avec GPS. La performance du joueur est comparée soit aux données du joueur avant sa blessure, soit aux exigences du préparateur physique du club, soit aux abaques de la littérature pour le même niveau et le même poste à travers l’Europe. 

Le domaine cognitif en termes de réactivité, d’appréhension de l’espace et des autres joueurs est également une piste à ne pas négliger. Après, dans un sport de pivot contact, le risque zéro n’existera jamais même si tout a été fait au mieux.