Je vous propose aujourd’hui la lecture d’un document de la FFF sur la rééducation du genou après plastie intra-articulaire au DIDT et retour externe antéro-latéral. Ce document écrit par l’équipe médicale de Clairefontaine reprend dans le détail la prise en charge du footballeur, de J0 au retour sur le terrain. Si on n’y trouve pas de nouveautés particulières par rapport aux protocoles déjà connus, le document est suffisamment complet et bien réalisé pour en avoir une lecture attentive et curieuse.
Cette prise en charge est divisée en 6 phases, chacune correspondant à la mise en place d’éléments nouveaux et donc à une nouvelle étape dans la rééducation :
- La lutte contre le phénomène inflammatoire (phase 1)
- Le début des soins de kinésithérapie (phase 2)
- Le travail de renforcement musculaire actif et proprioception (phase 3)
- Le début de la course (phase 4)
- Le travail des appuis avec pivot (phase 5)
- Le retour à l’entraînement (phase 6)
Pour une bonne compréhension, chaque chapitre se décline en objectifs, principes et moyens, et pour le passage des phases 2 à 3, 3 à 4 et 5 à 6, les critères à valider sont énoncés. Enfin, une durée approximative est donnée pour chacune des phases. L’iconographie est très détaillée et 28 vidéos sont accessibles afin de garantir une excellente compréhension des exercices effectués.
Je vous propose quelques réflexions que me suggère la lecture du document. J’ai ensuite demandé au docteur Pascal Maillé (PM), médecin à Clairefontaine et l’un des auteurs du document, de répondre à quelques-unes de mes questions.
LFC : Il est écrit en page 1 « qu’en accord avec les nombreuses publications récentes, il nous semble que plus qu’un calendrier, le concept de validation d’acquis au cours de la rééducation permet d’envisager la progression à travers les différentes phases ». Je suis tout à fait d’accord pour mettre en avant des critères à valider pour passer d’une phase à l’autre, sans tenir compte de « délais tout faits ». Mais il me semble que la notion n’est pas très récente. C’est la base même de toute rééducation, qu’il s’agisse de plasties du LCA, de chirurgies tendineuses ou encore de lésions musculaires ou ligamentaires. Par exemple, on ne fait pas de travail de renforcement musculaire actif sur un genou inflammatoire. Mis dans l’autre sens, on s’occupe du phénomène inflammatoire, et quand celui-ci s’est éteint (critère validé), on peut attaquer le travail actif. Autre exemple, on ne va pas courir si le saut unipodal n’est pas correctement réalisé (qualité de l’impulsion, absence de fatigabilité, bonne réception avec contrôle du valgus du genou), lequel est l’un des critères à valider. S’affranchir des délais, ce n’est pas démarrer une course contre la montre et faire n’importe quoi. C’est se concentrer sur la rééducation et s’appuyer sur des éléments objectifs qui vous permettent d’avancer en suivant une logique fonctionnelle. C’est la raison pour laquelle je trouve incohérent de décider qu’après une ligamentoplastie de type DIDT le joueur ne peut pas retourner sur le terrain avant 6 mois, sous prétexte d’une ligamentisation non encore terminée, alors que tous les critères de RTP sont validés. Si je prends les délais les plus courts que vous nous proposez pour chacune des 5 premières phases, un joueur peut être sur le terrain après 4 mois ½ si tout se passe bien. Est-ce que tu valides éventuellement ce délai et que penses-tu en règle générale des 6 mois pour le RTP ?
PM : En théorie tu as raison mais en pratique dans 99% des cas le joueur n’a pas validé l’ensemble des critères nécessaires au retour à la performance à 4 mois ½. Le plus souvent nous sommes à +/- 15 jours autour des 6 mois sans que ce soit un critère pour nous.
Phase 1 : Autonomie à la maison, autorééducation. Durée approximative : 5 à 7 jours. Objectifs • Lutter contre la sidération du quadriceps. • Entretien des amplitudes articulaires (conserver une extension complète est fondamental). • Faciliter la diminution des phénomènes inflammatoires. • Reprise de la marche adaptée selon les consignes.
LFC : Les auteurs énoncent un élément important, dans la mesure où l’on est dans la phase post-opératoire immédiate : « Garder le contact avec le centre chirurgical en cas de douleur non contrôlée par le traitement, fièvre, intolérance médicamenteuse ». Avez-vous souvent eu à renvoyer votre joueur au chirurgien pour des phénomènes infectieux, des limitations d’amplitudes ou autre problème ? Si non, quels sont les éléments clés pour que tout se passe bien ?
PM : Oui ça arrive, notamment pour des déficits d’amplitude qui ne progressent pas et qui vont nécessiter une mobilisation sous AG ou une arthrolyse sous arthroscopie. Nous avons également eu quelques cas d’arthrite septique au fameux staphylocoque caprae qui est plus fréquent chez les sportifs outdoor.
Les éléments importants sont pour moi la réalisation d’une rééducation pré opératoire pour récupérer un genou le moins inflammatoire possible et un statut musculaire de bonne qualité principalement pour le quadriceps et le vaste médial. Cela va avec le fait de se donner un temps de préparation à la ligamentoplastie et de ne pas se précipiter. Le joueur doit être rassuré et bien informé pour faire correctement dès les 1ers jours post opératoires des exercices d’auto-rééducation afin d’éviter l’installation d’un flessum et de favoriser un bon réveil quadricipital et une bonne mobilité rotulienne.
LFC : Un principe de base pour cette phase est clairement : « Peu de temps, mais souvent dans la journée », le meilleur moyen de travailler sans réactiver de phénomènes inflammatoires. Il n’est pas proposé d’attelle ou d’orthèse de marche en dehors des séances. Qu’en est-il aujourd’hui des protocoles post-opératoires immédiats, orthèse ou non ?
PM : Si possible pas d’orthèse ou une orthèse articulée qui permet la remise en route d’un schéma de marche, mais soulagé par une paire de cannes anglaises.
Phase 2 : Début de la kiné – Jusqu’à 4 à 6 semaines post-opératoires. Objectifs • Éviter l’installation d’un flessum • Éveil puis début de renforcement musculaire des ischio-jambiers. • Récupération des amplitudes articulaires extension 0°, flexion ≥ 100°, sauf en cas de restriction spécifiée par le chirurgien (notamment en cas de suture méniscale). • Travail fonctionnel (marche, escaliers) • Entretien musculaire du membre controlatéral. • Entretien cardio-respiratoire.
LFC : A une certaine période, certains chirurgiens considéraient que garder 1 à 2° de flexum jusqu’à 6 semaines n’était pas un problème, voire pouvait être intéressant pour protéger le greffon. Qu’en est-il aujourd’hui ?
PM : Nous ne cherchons pas à forcer sur l’extension, mais à obtenir un zéro « naturel ».
LFC : Les soins sur la zone de prise de greffon sont importants à réaliser dans les suites immédiates de la chirurgie. Ils s’apparentent à celui d’une lésion musculaire fraîche, comme nous le rappelions dans un article récent (cf Prise en charge d’une lésion des ischio-jambiers du 19 septembre 2021), à savoir un travail manuel sur cicatrice et la mise en place d’un travail excentrique sur les ischio-jambiers, ce que vous proposez à Clairefontaine. Dans quel délai considères-tu avoir une très bonne cicatrisation de cette zone de prélèvement ?
PM : On peut comparer ce prélèvement à une lésion myotendineuse et j’aurais tendance à dire que la cicatrisation sera de bonne qualité autour de 8 semaines.
LFC : L’utilisation de la technique BFR, très récente en France, comme aide au renforcement musculaire apparaît comme un plus pour le staff médical de Clairefontaine. Quelle est sa place par rapport aux autres techniques de renforcement ?
PM : C’est un complément qui permet, par rapport au travail classique, un gain équivalent avec une charge moins lourde et moins de répétition ce qui en phase précoce est appréciable pour éviter de surcharger l’articulation convalescente.
LFC : Le travail physique au cours de cette phase 2 n’intéresse que le haut du corps, aucun travail sur vélo et ou en piscine n’est proposé. Est-ce le fait de se dire qu’on aura tout le temps pour travailler athlétiquement dans les phases suivantes ou est-ce que ce serait prendre le risque d’entretenir des phénomènes inflammatoires ?
PM : En fait, tout va s’adapter à l’état du genou et son évolution inflammatoire. Il n’y a pas de règle absolue et le vélo peut être utilisé comme un outil de rodage articulaire avec faible résistance. Si le genou n’est pas inflammatoire et si les amplitudes articulaires sont suffisantes, nous allons réintroduire le vélo comme outil de travail cardio vasculaire sans travail de puissance initialement.
Phase 3 : Intensification – durée approximative : 6 semaines (+/- 2 semaines). Objectifs • Gain d’amplitude articulaire passif et actif jusqu’à 0/125°. • Renforcement spécifique quadriceps/ischio-jambiers. • Amélioration de la force globale. • Acquérir le contrôle neuromusculaire du genou en charge.
LFC : Cette phase interdit toujours le travail en pivot. Les charges de travail vont augmenter avant de proposer la reprise de la course (phase 4). L’un des objectifs majeurs est donc bien de ne pas réactiver de phénomènes inflammatoires. Le travail du pied est très intéressant dans sa description et sa pertinence. En isocinétique, la vitesse de travail proposée pour le travail du quadriceps en concentrique se situe entre 240 et à 60°/sec, en pyramidal, là où nous proposions voilà 20 ans des vitesses comprises entre 300 et 120°/sec afin de ne pas « surcharger » le genou et son appareil extenseur. Qu’en est-il ? Et à quelle date commencez-vous le travail concentrique du quadriceps en chaîne ouverte ?
PM : Le travail concentrique en chaine ouverte aujourd’hui est proposé initialement contre des résistances élastiques assez précocement une fois passé les phénomènes inflammatoires et le schéma de marche acquis, donc souvent autours des 4 à 6 semaines post opératoires. Le point d’appui initial est plutôt proximal. C’est un mode de fonctionnement qui nous semble important pour le recrutement quadricipital et donc le fonctionnement rotulien.
Le secteur de travail initial va se faire sur la course moyenne du mouvement.
L’isocinétisme est utilisé pour le quadriceps en chaine ouverte souvent vers la 8ème semaine post opératoire.
Les études ont montré que les phénomènes de ligamentisation du LCA pouvaient s’étendre jusqu’à 2 ans post opératoire et de même il n’y a pas d’allongement significatif retrouvé après un travail en chaine ouverte progressif et bien mené.
Pour le travail isocinétique nous avons souvent observé les difficultés pour les joueurs à atteindre de manière reproductible des vitesses élevées.
Nous restons très attentifs à l’apparition de signes cliniques ou d’anomalies de courbe lors du travail isocinétique évocateurs de souffrance de l’appareil extenseur et le travail est réévalué et individualisé en permanence.
LFC : On ne retrouve pas de critères cliniques pour passer à la phase 4. Ce serait pour moi un genou sec, des amplitudes proches de la normale (pas de flexum, une extension > 125°), l’absence de laxité évidemment (ou autrement dit une laxité symétrique), des interlignes libres, pas de signes rotuliens et un testing musculaire normal (indolence et bon tonus). En revanche, et c’est une évolution de ces dernières années, on retrouve beaucoup de tests fonctionnels (leg landing (double, single) et hop-tests tels single hop test (SHT), triple hop test (THT), cross over hop test). Est-ce une condition indispensable pour toi de valider ces tests fonctionnels à cette période de la rééducation ?
PM : Les tests fonctionnels ne sont réalisés qu’en fin de parcours. Leur intérêt réside autant dans la symétrie de performance entre membre opéré et membre sain que dans la qualité d’exécution. C’est cette qualité de contrôle, d’absorption et de restitution de l’énergie qui pour moi est une condition importante à la progression
LFC : Il n’y a toujours pas de travail athlétique sur vélo en phase 3. Que faut-il en penser ?
PM : Si. Le vélo est bien sûr utilisé comme outil de réathlétisation sur toutes les thématiques, y compris la vélocité et la PMA.
LFC : Vous mettez comme principe de la phase 3 et comme critère de passage à la phase 4 le fait qu’il faille éviter les problèmes de rotule. Or, il me semble que beaucoup d’exercices que vous proposez sont sources de contraintes fémoro-patellaires : le travail isocinétique à 60°/sec, la pliométrie, les squats en haltérophilie, le squat monopodal, le travail du quadriceps avec élastique en chaîne ouverte … N’est-ce pas trop ?
PM : La programmation hebdomadaire ne cumule pas tous ces exercices sur une même période. Il y a une progression dans le type de contrainte, dans le volume de travail et dans la difficulté. Le protocole décrit tous les principes de travail que nous utilisons, mais le plus important est « la mise en musique » pour obtenir le meilleur résultat sans surcharger la rotule. Quel que soit le type de ligamentoplastie, il y aura chez certains sujets des passages de syndrome rotulien soit par surcharge, soit par insuffisance de travail.
Nous essayons par notre suivi quotidien et par notre expérience de limiter au mieux ce passage et si nous y sommes confrontés, nous utilisons là encore toute notre expérience pour obtenir une progression musculaire gage de bon fonctionnement rotulien en dehors des zones de souffrance.
La suite de l’entretien, sur les phases 4, 5 et 6, vous sera proposée dans les prochaines semaines.