À la suite du papier du 11 avril dernier « course-arrière en 1993 sur l’isocinétique et le travail excentrique », je vous avais proposé que deux kinésithérapeutes rompus à cette technique nous fassent partager leur expérience. J’ai donc profité du dernier match de l’équipe de France à Sarajevo pour réunir autour d’une même table ronde un Parisien, Guillaume Vassout, et un Lyonnais, Alexandre Germain, tous deux kinésithérapeutes avec les A. Entretien.

Une courte présentation de votre parcours pour débuter ?

AG : Alexandre Germain, 44 ans, diplômé de Berck-sur-mer en 99, j’ai filé ensuite au Sedan Ardennes Football Club pour travailler comme kiné assistant avec Christophe Geoffroy pendant une saison, avant de rejoindre Lyon et le centre médical de Gerland avec le docteur Jean-Marcel Ferret, alors médecin de l’équipe de France de football. En parallèle, j’ai travaillé dans le milieu cycliste professionnel et auprès des équipes de France de Hockey sur glace. Je suis kiné en équipe de France de Football depuis 2016. Je me suis spécialisé dans la traumatologie des membres inférieurs, les lésions musculaires et dans la rééducation après ligamentoplastie du LCA, la réadaptation et le RTP.  

GV : Guillaume Vassout, 35 ans, diplômé de l’école d’Assas à Paris, j’ai fait 4 ans en libéral avant d’intégrer le centre médical de Clairefontaine en 2013 où on ne s’occupe aujourd’hui que de sportifs de haut niveau, à 90% de footballeurs. Les pathologies les plus fréquentes dont je m’occupe, ce sont les LCA opérés, la pubalgie et les pathologies musculaires. Si je devais citer un référent en isocinétisme, ce serait le Pr Jean-Louis Croisier de l’école de Liège.

Depuis quand travaillez-vous avec des appareils isocinétiques ?

GV : Depuis 2013 et mon arrivée à Clairefontaine. J’ai travaillé sur les 3 machines, Cybex Norm, Biodex et Con-Trex, que j’utilise indifféremment pour la rééducation et les évaluations. 

AG : En 2000, j’ai commencé par travailler sur deux machines Cybex à Gerland. Le partenariat avec Médimex, qui est basé à Lyon, était très fort et l’expérience de Jean-Marcel Ferret importante. J’ai passé la moitié de mon temps la semaine sur appareil isocinétique pour le travail de rééducation/évaluation ainsi que pour des formations. Je ne travaille plus que sur Con-Trex aujourd’hui.

Quelles sont les pathologies que vous traitez ?

AG : Beaucoup de croisés, en rééducation et en test. On les teste maintenant à 3 mois quand ce sont nos patients, donc habitués à travailler en iso, puis à 6 mois et 9 mois. Le reste, ce sont des lésions musculaires, beaucoup d’ischio-jambiers et des tendinopathies d’Achille et rotuliennes. Les tests après ligamentoplastie, on les fait en concentrique pour le quadriceps et les ischio-jambiers à 240 et 90°/sec et en excentrique pour les ischio-jambiers à 30°/sec. La référence en concentrique est à 60°/sec, mais on est resté sur cette vitesse « historique » de 90°/sec à Gerland. On travaille sur ce protocole avec les chirurgiens évidemment, qui nous font totalement confiance. Pour les patients extérieurs que nous ne connaissons pas, si c’est un DIDT, on ne les teste pas avant 4 mois ½. On a eu trop de lésions musculaires sur la machine au niveau de la zone de prélèvement avec des tests faits à 3 mois, chez des patients qui n’avaient pas encore commencé le travail excentrique. Pour les patients qui ont bien travaillé en excentrique iso avant, tu n’as quasiment plus de déficit sur les ischio-jambiers à 3 mois. Il reste en revanche toujours un déficit sur le quadriceps en concentrique à 3 mois. 

GV : Pour les ligamentoplasties, on fait le test en concentrique à 60 et 240°/sec et en excentrique pour les ischio-jambiers à 30°/sec. On peut faire le premier test à 2 mois ½ si la clinique le permet, mais on est autour de 3 mois en moyenne pour nos patients. Pour les patients externes, un peu comme Alexandre, le premier test, on ne le fait qu’à 6 mois même. Mais tous les chirurgiens ne sont pas d’accord. Certains, peu nombreux, nous interdisent de démarrer le travail excentrique iso avant 6 semaines et ne veulent pas de test iso avant 6 mois.

Qu’attendez-vous de l’isocinétisme en rééducation ?

AG : Si c’est une lésion musculaire, je propose un travail iso depuis les premiers jours après la lésion selon la clinique jusqu’à quasiment le retour dans le groupe et le RTP. En fait, ça va aller de pair avec le passage de mes différents paliers sur le terrain. Sur le croisé, beaucoup moins. Ça reste un super outil pour quantifier le travail. Après, quand ils ont tout récupéré sur la machine en chaîne ouverte, on transfère tout en fonctionnel et en réathlétisation et on n’y revient quasiment pas. Sauf si on a une surcharge temporaire sur le genou, avec une petite chondropathie rotulienne par exemple, on peut être amené à faire du rodage articulaire. 

GV : Pour une rééducation d’ischio-jambiers, je vais avoir le joueur pendant 3 à 6 semaines, donc de l’iso, il en aura tout le temps. Même en fin de rééducation avec un test symétrique, je continue à travailler en iso. On peut toujours faire varier quelque chose, les amplitudes, le positionnement, les vitesses. Donc même s’il est sur le terrain, on continue à en faire. La même chose pour un croisé. On peut même proposer un travail sur le membre controlatéral.

Alors, point par point, la première séance d’abord, et puis les suivantes, comment augmentez-vous les résistances, les vitesses … ?

AG : Si on prend une rééducation d’ischio-jambiers, il y a 4 critères de progression : amplitude, vitesse, intensité et charge de travail totale. On travaille au plus près de l’amplitude maximale, en fonction de la douleur. Je commence à une vitesse lente, 5°/sec que je vais faire progresser à 10, à 15 et jusqu’à 30°/sec. Et l’intensité de travail sera adaptée à son seuil de douleur. Je lui explique bien dès la première séance qu’il ne doit pas déclencher de douleur. Je ne fixe pas de pourcentage précis, je lui demande d’être toujours à la limite de la douleur. Je n’augmente pas de 5 en 5°/sec comme on peut le voir souvent. Je commence à 5 séries de 8 répétitions. Je peux aller jusqu’à 6 séries de 8. Quand le joueur commence à saturer au niveau de l’intensité de travail (souvent autour de 90-100 Nm à 5°/sec), je passe à 10°/sec, progressivement. Idem pour passer à 15 puis 30°/sec. Grossièrement, si je fais 5 séances par semaine, la rééducation sur appareil iso va durer 3 semaines maximum. 

GV : Les critères pour nous ce sont la douleur, le pourcentage par rapport au côté controlatéral et l’amplitude du mouvement. Les premières séances, c’est une familiarisation sans écran, pour savoir à quel niveau il atteint son seuil douloureux. On utilise le test controlatéral, ou alors on a un test iso assez récent. On commence à 10°/sec, d’abord sur une amplitude de 90 à 45° de flexion, même s’il est facile, et on se met entre 30% et 50% du pic de force de son côté controlatéral. On ajuste aussi en fonction de la douleur. On augmente assez rapidement l’amplitude pour aller jusqu’à l’extension, donc le 0°, toujours à 10°/sec. On passe ensuite à 50% puis 70% du max, toujours sans douleur. Puis on augmente la vitesse, à 20°/sec, en même temps que l’on repasse à 50% du pic max ; et on augmente ensuite à 70% du pic, toujours à 20°/sec ; avant d’augmenter pour finir la vitesse à 30°/sec et un travail à 70%. C’est notre niveau max. S’ils sont capables de travailler à 30°/sec et 70% du pic max, on a toutes les chances qu’ils soient symétriques. Pour le nombre de répétitions, on démarre à 4 fois 8 pour aller jusqu’à 5 à 6 fois 8 reps, grand maximum.

Quelle est votre dernière séance d’iso ou le critère d’arrêt ?

GV : On ne fait pas systématiquement de test. On peut rester sur cette dernière séance à 30°/sec, 70% du pic max et 5 fois 8 répétitions. S’ils y arrivent, le test sera symétrique, voire des valeurs plus élevées du côté lésé par rapport au côté sain. 

AG : On veille aussi à ce qu’ils tiennent bien l’intensité jusqu’au bout de la courbe, donc proche de l’extension et de la course externe, sans décrochage, avec des courbes superposables. C’est vraiment capital. Et j’attache beaucoup d’importance à son positionnement sur la machine, pour qu’il sente vraiment travailler sa zone lésionnelle. Le but c’est vraiment la cicatrisation, mais aussi d’éviter la récidive.

Comment gérez-vous le positionnement du joueur sur la machine ?

AG : Si on prend l’exemple d’une lésion du biceps fémoral, si la lésion est distale, il travaillera assis, si la lésion est proximale, je le bascule sur le dos et je joue plus dans le positionnement sur la flexion de hanche, autour de 120°, plutôt que sur l’extension du genou qui peut rester à 20-30° de flexion.

GV : La même chose pour nous. Il peut y avoir des différences d’un appareil à l’autre, ce qui fait que l’on sera amené à travailler assis sur l’une, alors que l’on pourra allonger le joueur sur une autre. J’essaye toujours d’aller chercher la douleur sur la machine, surtout si l’échographie montre encore une image, donc au plus loin de la course externe. On peut jouer aussi sur les rotations, comme pour les diagonales de Kabat, de la rotation interne vers la rotation externe pour un biceps, et inversement pour le semi-tendineux.

Faites-vous beaucoup d’iso en prévention ?

GV : Systématiquement. A Clairefontaine, tous les INF avec un déficit supérieur à 20% vont en faire. Ils auront en plus des séances fonctionnelles en groupe sur le terrain. Pour la plupart, c’est un déficit en excentrique sur les ischio-jambiers. Même si on peut penser qu’il ne s’agit pas de vrai déficit, mais d’un problème de maturité neuromotrice. Et sur nos joueurs professionnels en rééducation, s’il y a un déficit sur le côté controlatéral à l’évaluation systématique, on va travailler sur iso. Avec l’idée d’être préventif. Mais ce n’est pas parce que tu as un test iso symétrique que tu es apte, même avec des ischio-jambiers forts. Il faut s’intéresser au pic de force rapporté au poids, ou ratio poids de corps (RPdC). Sur ma série de joueurs de Ligue2, j’ai fait une moyenne du RPdC sur chacune des vitesses et je monte systématiquement mes joueurs au moins à la moyenne quand ils sont en-dessous. Je publierai très bientôt mes résultats.

AG : En prévention tertiaire (sur un joueur qui a déjà eu une blessure), j’en fais tout le reste de la saison, au moins une fois par semaine, associé à du travail fonctionnel toute la semaine. En l’absence de lésion, sur un test iso de début de saison par exemple, si le joueur a un déficit, il va travailler au moins une fois la semaine, deux fois si possible, le reste du travail sera fait en fonctionnel avec un programme individualisé. Le fonctionnel tourne autour du « Good morning », du protocole d’Askling avec le « Diver » et le « Glider », beaucoup plus que le « Nordic » qui reste un travail en courses interne et moyenne et me paraît insuffisant. Pour un quadriceps, s’il y a déficit, on travaillera aussi, sur iso ou en salle sur machine (leg extension, presse ou squat).

Vous pourriez travailler sans appareil iso ?

GV : Ce serait très difficile pour moi, j’ai baigné dedans. Pour toutes les rééducations, on utilise l’iso : la pubalgie, la plastie du LCA, la lésion musculaire, la lombalgie, les épaules, le poignet, on en fait sur tout.

AG : Ça fait 20 ans que je travaille tous les jours avec, alors oui je serais perdu sans, même si aujourd’hui j’en fais moins qu’à une époque. Ça me paraît être un outil presqu’obligatoire. Il est essentiel, ajouté aux autres outils. Et pourtant on peut faire sans. Et tu regardes aujourd’hui, même au haut niveau, on a tendance à s’en séparer un peu parce qu’on dit que c’est du travail analytique. Alors oui, c’est analytique, mais s’il est bien fait, il est très intéressant. Et couplé avec le travail fonctionnel, c’est particulièrement pertinent. Aujourd’hui, on a tendance à faire du fonctionnel et encore du fonctionnel. Mais à un moment donné, tu as quel outil pour dire que tes ischio-jambiers sont capables de supporter telle charge ?

Que répondez-vous à ceux qui vous disent qu’on ne se déchire pas un ischio-jambier à 10°/sec assis sur une chaise ?

GV : Ce sont ceux qui ne pratiquent pas l’iso qui pensent comme ça. 

AG : Je réponds que je ne reste pas sur l’iso, que je propose un travail fonctionnel en parallèle. À tout moment, il faut transférer les acquis analytiques en fonctionnel. 

LFC : Dans mon esprit, l’iso me sert clairement à faire ce travail analytique, à travailler sur la cicatrice, à obtenir une cicatrice solide qui va m’autoriser ensuite à travailler en fonctionnel, progressivement et sans retenue. Et effectivement, il ne faut surtout pas dire que l’iso suffit. 

La fin de l’entretien est plus compliquée à retranscrire sur des sujets parfois déjà évoqués, une discussion à bâton rompu sur l’avenir de l’iso, la formation des utilisateurs, le prix des machines, la capacité à comparer deux tests faits sur deux machines différentes, le positionnement sur machine, la tentation aujourd’hui de ne faire que du fonctionnel … 

Cet entretien m’a conforté dans l’idée que toute méthode de travail, quelle qu’elle soit, ni bonne ni mauvaise, est surtout « opérateur dépendant ». L’utilisation de l’iso n’y échappe pas, j’ai pu m’en rendre compte depuis 30 ans. Les kinésithérapeutes, car ce sont eux les meilleurs utilisateurs de l’iso, doivent apprendre à s’approprier la machine, à réfléchir sur les protocoles et le positionnement du joueur pour obtenir le meilleur résultat, obtenir aussi la confiance du joueur qui peut être réticent. Sans cela, le travail risque d’y perdre beaucoup de son intérêt et de son efficacité et le « label iso » n’y suffira pas. 

Merci à Guillaume et Alexandre pour la qualité des échanges. N’hésitez pas à mettre vos commentaires en ligne et à nous faire partager vos expériences.   

Un prochain papier donnera la parole à un kinésithérapeute qui nous parlera de la rééducation des déchirures musculaires, des ischio-jambiers en particulier, sans utiliser l’iso. Une façon de remettre en perspective ce que vous venez de lire.