Je vous propose aujourd’hui de faire un retour en arrière d’une cinquantaine d’année pour retracer l’histoire des médecins de clubs professionnels. Si de nos jours la plupart sont très bien structurés au niveau médical, cela n’a pas toujours été le cas. L’intégration au quotidien du staff médical et leur acceptation n’ont été rendues possibles que par le fruit d’une lente maturation des dirigeants (présidents, entraîneurs) et des structures (centres d’entraînement, stade).
Les « pionniers » en la matière, ce sont des hommes de terrain comme Pierre Rochcongar au Stade Rennais et Jean-Marcel Ferret à l’Olympique Lyonnais, Dany Eberhardt au Racing Club de Strasbourg, Pierre Poty et Guy Demonteil à l’Association Sportive de Saint-Etienne, Jean-François Chapellier à l’Olympique d’Alès, Joseph Laurans à l’En Avant Guingamp, Fabrice Bryand au Football Club de Nantes ou encore Bruno Boutges et Claude Montero aux Girondins de Bordeaux, Yves Desmarais et Alain Durey au Paris Saint-Germain, Marcel Jacob au stade de Reims, et j’en oublie malheureusement. Ils ont inventé, créé le poste de médecin de club dans les années 1970-1980 en même temps qu’ils participaient à l’émergence d’une véritable spécialité en traumatologie du sport auprès de grands noms de la médecine du sport en France : Jacques Rodineau, Gérard Saillant, Jean-François Kouvalchouk, Jean Généty, Bernard Moyen, Elisabeth Brunet-Guedj…
Avant les années 1970, il est très compliqué de parler de staff médical au sein des clubs, voire de staff tout court. La traumatologie du sport a ses médecins, ses orthopédistes, ses kinésithérapeutes, ses rebouteux… On les consulte en ville, au cabinet, à l’hôpital et en clinique, mais d’organisation médicale dans les clubs, il n’y en a pas. Si je devais prendre un exemple, je rapporterais les propos du Lyonnais Fleury Di Nallo dans le journal L’Équipe du 27 janvier 2019 : « J’ai eu la jambe fracturée en 1968, en jouant contre le Red Star. Aujourd’hui encore, ma jambe est plus mince que l’autre, elle n’est jamais revenue. On ne faisait pas de rééducation ! Le kinésithérapeute du club travaillait à l’abattoir le matin et, l’après-midi, il venait nous masser. » Même très réductrice, cette anecdote nous rappelle le désert médical de l’époque auprès des joueurs sur leur lieu de pratique.
Ce n’est pas un hasard si finalement tout démarre en 1970. En effet, cette année-là, le 1er août très exactement, la DTN (Direction technique nationale) est créée, à l’initiative du sélectionneur national de l’époque, Monsieur Georges Boulogne. La FFF met ainsi en place un maillage de conseillers techniques régionaux et départementaux pour favoriser la détection des talents et la formation dans les clubs. Deux ans plus tard, l’Institut national du football de Vichy voit le jour, le 6 novembre 1972. Il est le premier des vingt-quatre pôles Espoirs masculins et féminins qui existent aujourd’hui. Ainsi, indépendamment des évolutions technologiques, des progrès des connaissances médicales et des techniques chirurgicales, la médecine du football et sa structuration dans les clubs vont suivre le chemin tracé par la FFF et la DTN, de façon indissociable.
En 1970, il existe bien des congrès médicaux pour se former, entre autres ceux de la FFF dont nous avons retrouvé la trace (voir encadré). Les formations en médecine du sport se font au travers des colloques régionaux organisés par les Sociétés régionales de médecine du sport et du CES de médecine du sport dans de nombreuses facultés françaises que les jeunes médecins généralistes intéressés par la pratique sportive passent en fin d’études médicales. Il y est surtout question de physiologie de l’effort, alors en plein essor. La traumatologie du sport est d’abord l’affaire des chirurgiens orthopédistes. On parle de ménisques à enlever, d’instabilité de genou, mais encore très peu de tendinopathie et de lésion musculaire. Les traitements se basent sur le repos, les anti-inflammatoires et la physiothérapie. Ce sera tout le mérite de ces pionniers de définir ces pathologies et de les décrypter pour proposer des prises en charge médicales de plus en plus pointues.
Les années 1970 et 1980 vont donc représenter un tournant dans la prise en charge des blessures dans les clubs professionnels, mais l’arrivée des médecins étonne et dérange certains : « À quoi peut bien servir un médecin dans un club professionnel ? » s’interroge un célèbre entraîneur de l’époque. Un autre craint que les joueurs s’écoutent davantage au contact du médecin, alors que toute l’éducation médicale des joueurs est à faire pour consulter au moindre bobo et éviter ainsi les complications d’une lésion bénigne mal soignée. Les formations en médecine et traumatologie du sport (DU, congrès) se multiplient en France. Le premier DU (diplôme universitaire) à voir le jour est celui du docteur Jacques Rodineau à la Pitié-Salpétrière en 1978, puis d’autres CHRU (Rennes, Lyon) vont suivre, ainsi que le congrès annuel de la Pitié créé en 1981, grand-messe pour les médecins en traumatologie du sport (aujourd’hui encore), où l’on retrouvera des noms importants comme les docteurs Eric Rolland, Jean-Baptiste Courroy (ancien stagiaire pro au SC Bastia), Jean-Pierre Paclet (médecin de l’équipe de France vice-championne du Monde en 2006 en Allemagne), Gilles Daubinet, Jacques Parier, Thierry Boyer, Jacques Bonvarlet ou encore Bernard Montalvan.
Le diagnostic clinique s’affine sous l’impulsion de tous. L’avènement de l’IRM va représenter un progrès considérable en termes d’imagerie médicale, jusqu’alors le domaine de l’échographie, de la tomographie, de l’arthrographie, du scanner et de la scintigraphie osseuse. De nouvelles techniques chirurgicales apparaissent également. La pubalgie en est un très bon exemple avec l’apparition d’une technique venue de Yougoslavie. Sans régler toutes les problématiques, l’intervention du docteur Nesovic (ancien footballeur à l’Étoile rouge de Belgrade) sur la paroi abdominale (équivalent de celle de Bassini pour les hernies inguinales) va révolutionner sa prise en charge. Elle est proposée avec succès en 1980 sur plusieurs footballeurs de D1 par les professeurs Jaeger à Colmar, Witvoet à Paris et Imbert à Saint-Étienne. Idem pour la rupture du ligament croisé antéro-externe du genou (LCAE). La plastie extra-articulaire de Marcel Lemaire (chirurgien généraliste), décrite en 1967, a été le traitement de l’instabilité du genou après rupture du LCAE pendant de nombreuses années. Puis, en 1975, sont apparues les premières ligamentoplasties intra-articulaires dans le service du professeur Jaeger, suivi par de nombreux autres chirurgiens comme les professeurs Saillant à Paris, Imbert à Saint-Étienne, Chambat et Dejour (Henri) à Lyon. C’est le début de l’âge d’or de l’intervention de Kenneth-Jones (prélèvement sur le tendon rotulien), gold standard des années 1980-1990 et toujours d’actualité en 2020, même si depuis elle a été supplantée par les DIDT et DT4 surtout et, un peu moins, par le Mac Intosh au fascia lata. Les protocoles de rééducation aussi vont progresser, résolument de plus en plus fonctionnels au cours des années 1970, et plus encore après. On réduit la durée des immobilisations sous plâtre et résine – comme après une entorse de cheville, par exemple –, tout en boostant la prise en charge en kinésithérapie. C’est le développement du travail de proprioception sur plateau de Freeman, des techniques de thérapie manuelle (MTP, crochets…), du renforcement musculaire dans les cages de poulithérapie, du protocole de Stanish, des strappings à l’Élastoplast®, des ionisations, des ondes courtes...
Les kinésithérapeutes sont déjà en place dans les clubs, souvent un seul auprès des professionnels, avec un statut de vacataire. Ils ont gardé en parallèle une activité libérale au cabinet où, le plus souvent, ils reçoivent les joueurs en soins. Seules les pathologies lourdes, comme une ligamentoplastie du genou, amènent les chirurgiens à envoyer les joueurs en centres de rééducation pendant quelques semaines, à Tréboul-Douarnenez ou Saint-Jean-de-Monts, par exemple, alors sous la direction du docteur Yves Le Floch, ancien footballeur professionnel au Stade Rennais. Les médecins, eux, officient encore dans leur cabinet et consultent à la demande du kinésithérapeute ou du joueur blessé. Ils sont rémunérés à la consultation, en général sur les déclarations d’accident de travail. Certains veulent rester bénévoles, comme Joseph Laurans à Guingamp, mais alors avec un contrat écrit validé par le Conseil de l’ordre. Passionnés, ils commencent cependant à aller consulter au stade pendant les heures d’entraînement, ce qui nécessite d’y aménager un espace de soins, et à couvrir les matches du week-end, souvent gracieusement, sur ce qui ressemble à un poste à mi-temps. Ils ont des profils différents : médecins généralistes (docteurs Trifilio à Monaco, Ferret à Lyon) diplômés en traumatologie du sport (CES de médecine du sport), médecins spécialistes en médecine physique et réadaptation (MPR) en ville ou en centre de rééducation (docteurs Montero à Bordeaux, Chapellier à Alès, Demonteil à Saint-Étienne, Laurans à Guingamp, Durey au PSG) ou encore médecins responsables d’un laboratoire de physiologie de l’effort à l’hôpital (professeur Rochcongar à Rennes).
Les clubs vont alors leur demander de mettre en place une organisation médicale, qu’il s’agisse des soins pour les joueurs ou de la surveillance des matches et des entraînements. Les entraîneurs leur confient la gestion des blessés en même temps qu’ils s’appuient sur certains pour élaborer les séances athlétiques du fait de leurs qualifications en physiologie de l’effort (docteurs Ferret à Lyon, Rochcongar à Rennes, Bryand à Nantes). C’est ainsi qu’en 1976, à l’Olympique Lyonnais, est né le célèbre binôme formé par Aimé Jacquet (qui arrête sa carrière de joueur pour débuter celle d’entraîneur) et Jean-Marcel Ferret (tout jeune diplômé de médecine générale qui va démarrer sa carrière de médecin du sport). On les retrouvera en équipe de France en 1994 et ils emmèneront les Bleus jusqu’au titre de champion du monde en 1998. Les années 1970-1980 ont vu les tests en laboratoire se développer comme dans beaucoup d’autres spécialités sportives (course à pied, cyclisme…). On réalise alors des mesures directes de VO2max grâce à l’analyse des échanges gazeux au cours d’efforts maximaux réalisés sur tapis roulant ou sur ergocycle. Ceci permet à l’entraîneur de déterminer des groupes de travail avec des joueurs très endurants (VO2max entre 65 et 70 ml.mn-1.kg-1), endurants (VO2max entre 55 et 65 ml.mn-1.kg-1) ou peu endurants (VO2max inférieure à 55 ml.mn-1.kg-1). Au cours de ces mêmes tests à incrémentation, on définit les seuils lactiques qui vont leur permettre de définir des allures de course sur le terrain (travail de la capacité aérobie sur des efforts longs de 15 à 20 min, à 12, 13, 14, voire 15 km.h-1 pour certains).
En parallèle, le docteur Maurice Vrillac, médecin général des armées au bataillon de Joinville, officie auprès de l’équipe de France (de 1973, avec l’arrivée de Stefan Kovacs, jusqu’en 1988 et le départ d’Henri Michel). Devant le constat alarmant fait par la DTN sur le niveau athlétique des joueurs de haut niveau, il met en place des mesures de VO2max au laboratoire pour les joueurs de l’équipe de France A avant d’envoyer tout le monde en préparation athlétique à Font-Romeu (2000 mètres d’altitude) avant les grandes compétitions de 1978 (Coupe du monde en Argentine), 1982 (Coupe du monde en Espagne), 1984 (championnat d’Europe en France) et 1986 (Coupe du monde au Mexique). Après Georges Boulogne dans les années 1970 à Vichy, c’est Jacques Devismes qui assure la formation des entraîneurs en préparation physique dans les années 1980 et 1990, à Vichy jusqu’en 1988, puis à Clairefontaine dans le tout nouveau Centre technique national du football. Bien avant l’apparition des préparateurs physiques, quelques-uns de ces médecins déplacent même le laboratoire sur le terrain, avec des mesures indirectes de la VO2max, des enregistrements de fréquence cardiaque et des prélèvements sanguins pour les dosages de lactates au décours de l’effort de course ou de séances d’entraînement. Le test de Cooper (distance maximale parcourue pendant 12 min) est à son apogée, jusque dans les lycées, avant d’être déclassé par les tests canadiens de mesure indirecte de la vitesse maximale aérobie (VMA), le Léger-Boucher et le Vaméval.
Alors qu’elles étaient l’apanage des chirurgiens orthopédiques, les premières consultations hospitalières médicales de traumatologie du sport sont ouvertes dans les années 1970, à Lyon entre autres dans le service du professeur René Guillet (médecin de l’équipe de France olympique lors des jeux de Tokyo en 1964) à l’hôpital Édouard Herriot, consultation animée par le docteur Jean Généty, grande figure de la médecine du sport lyonnaise. Beaucoup d’autres suivront dans les CHRU français dans les années 1980. Les appareils isocinétiques arrivent dans les structures hospitalières et les centres de rééducation, avant de prendre place dans les salles de soins des clubs professionnels (années 1990). Les années 1980 voient aussi les premiers contrats mi-temps signés entre un médecin et un club (Fabrice Bryand à Nantes), avant que les premiers temps pleins ne voient le jour en France au cours des années 1990. C’est dans ce contexte, le 29 avril 1989, que naît l’Association des médecins de club du football professionnel (AMCFP). Lors de la première assemblée, on retrouve les docteurs Jean-Marcel Ferret (Lyon), Philippe Poissonnier (Beauvais), Marc Wydra (Strasbourg), Jean-François Chapellier (Alès), Guy Demonteil (Saint-Étienne), Alain Durey (Paris), Claude Montero (Bordeaux), Guy Trifilio (Monaco) et Pierre Rochcongar (Rennes). Il est alors surtout question de définir un statut du médecin de club (définition du poste, type de contrat, diplômes nécessaires, devoirs et droits), ce qui mettra deux bonnes décennies pour arriver à un résultat cohérent, quoiqu’on en discute encore aujourd’hui… Cette association va aider de nombreux médecins bénévoles à signer un contrat digne de ce nom avec leur club de cœur, comme Pascal Lefèvre, médecin du Red Star de 1986 à 2009 qui, comme beaucoup, était bénévole à ses débuts. Il est déjà question du dopage lors de la première réunion du 23 septembre 1989. Bientôt, sous la houlette de l’AMCFP, le suivi biologique verra le jour (années 1990), mis en place initialement dans le cadre de la lutte contre le dopage, puis le suivi cardiologique (années 2000) à la suite du décès de Marc-Vivien Foé en plein match à Lyon en juin 2003, et enfin le suivi traumatologique (années 2010), tous les trois imposés par la Ligue de Football Professionnel et sous la responsabilité du médecin de club. D’ailleurs, dans le cadre de ce suivi, une première étude rétrospective sur la traumatologie du footballeur professionnel en France au cours des saisons 2016-2017 et 2017-2018 vient d’être publiée (1).
Les kinésithérapeutes aussi vont s’organiser en association dans les années 1980, le GKF ou Groupement de kinésithérapeutes du football, sous l’impulsion des Stéphanois Gérard Forissier et Marcel Garcia, du Rémois Bernard Keiser, du Marseillais Pierre Luongo, du Montluçonnais Michel Arnal ou encore de l’Angevin Alphonse Le Gall. Ils sont intégrés à la commission médicale de la FFF avec l’appui d’André Boëda, alors médecin fédéral et médecin de l’équipe de France championne olympique en 1984 à Los Angeles. Ils formeront un pool de kinésithérapeutes capables de suivre les différentes équipes de France lors des stages et des compétitions internationales.