De longue date, on peut lire que les joueurs de haut niveau sont soumis à des cadences de matchs infernales et c’est une réalité pour la plupart des internationaux. Si le format des compétitions a peu changé au niveau national, qu’il s’agisse des championnats (20 clubs en France depuis des lustres, même s’il est question de passer à 18 prochainement) ou des Coupes nationales (disparition des matchs aller/retour en 1989 pour la Coupe de France), ce discours est clairement apparu dans les années 90 avec la réforme des Coupes d’Europe et le nouveau format de la Ligue des Champions (création d’une phase de groupes en 1992) et de la Ligue Europa (fusion de l’ancienne Coupe des vainqueurs de coupe et de la coupe de l’UEFA en 1999, création d’une phase de groupes en 2004). L’augmentation du nombre de matchs internationaux a été également un élément déterminant dans ce phénomène. Ainsi, pour l’Euro, on est passé de 8 équipes en 1984 à 24 équipes en 2020. Pour les qualifications à la Coupe du Monde, on est passé d’un groupe de 3 équipes pour la France en 1978 à un groupe de 5 ou 6 équipes (6 en 2018 et 5 en 2022) et pour la phase finale, elles étaient 16 en 1978 contre 32 aujourd’hui. Et encore ces deux compétitions n’ont lieu que tous les 4 ans. Pour le moment ... 

La finalité reste le nombre de matchs joués chaque saison, nombre clairement en hausse depuis 60 ans. Pour comparer les époques, Raymond Kopa a joué 41 matchs en 1958 (34 avec le Real et 7 en sélection) quand Michel Platini en joue 53 en 1984 (43 avec la Juventus et 10 en sélection). En 1998, Zinédine Zidane a joué 64 matchs (49 avec la Juventus et 15 en sélections) quand Antoine Griezmann en joue 67 en 2018 (49 avec l’Atlético Madrid et 18 en sélection). Toujours à titre de comparaison, Lionel Messi et Cristiano Ronaldo ont joué respectivement un total de 69 et 68 matchs en 2012. Il semble ainsi que l’on atteint une sorte de « limite physiologique », la barre à 70 matchs semblant complètement déraisonnable à passer. Mais aussi que faire plus de 60 matchs dans la saison peut être la norme pour les meilleurs. 

On doit admettre en contrepartie que les effectifs se sont étoffés et que le nombre de remplacements au cours d’un match a augmenté (un seul remplaçant autorisé depuis 1967 et jusqu’en 1976, 3 à partir de 1995 et jusqu’à 5 aujourd’hui avec le Covid). Il serait ainsi plus logique de compter le nombre de minutes jouées plutôt que d’en rester au nombre de matchs. Les staffs techniques ont grandi, les préparateurs physiques sont arrivés avec maintenant des responsables de la performance, la logistique autour des matchs n’a plus rien à voir avec les années 50 (moyens de déplacement, hôtel, restauration), les méthodologies d’entraînement ont évolué aussi, les connaissances sur les mécanismes de la fatigue et donc les stratégies de récupération à adopter se sont améliorées en même temps que les staffs médicaux se sont étoffés et que les clubs se sont équipés en matériel toujours plus innovant à défaut d’être toujours performant. Autant de raisons de penser que la gestion de l’état de forme physique des joueurs fait partie des préoccupations quotidiennes du staff.  

 Pour évoquer ce sujet de la fatigue post-match, j’ai repris un article de Mathieu Nedelec (Sport Scientist à l’INSEP), paru fin 2012 dans la revue « Sports Medicine ». Il traite des facteurs responsables de la fatigue en football, des marqueurs utilisés et des temps de récupération après un match (1). Même s’il me semble que la problématique a peu évolué en 10 ans, j’ai souhaité poser quelques questions à un spécialiste en la matière, Grégory Dupont, co-auteur de cet article, ancien préparateur physique du Celtic Glasgow, du LOSC, de l’équipe de France championne du Monde en 2018 et enfin du Real Madrid, avant de devenir consultant en préparation physique / performance pour les clubs. 

La fatigue post-match est multifactorielle, principalement liée à : 

  • La déshydratation – Le niveau de déshydratation dépend des conditions climatiques et atmosphériques (météo, vent, température, humidité et altitude) – des déficits hydriques modérés correspondant à ~2% de la masse corporelle sont courants, même dans le football avec des conditions thermiques neutres. La réhydratation apparaît comme un facteur déterminant pendant le processus de récupération post-match : une diminution du volume de liquide intracellulaire réduit les taux de synthèse du glycogène et des protéines, tandis qu’un volume cellulaire élevé contribue à stimuler ces processus.
  • L'épuisement du glycogène - Chez un footballeur, le glycogène musculaire est probablement le substrat le plus important pour la production d'énergie. La diminution des distances parcourues à haute intensité fréquemment observée à la fin d'un match pourrait être liée à l'épuisement du glycogène dans certaines fibres musculaires. La réplétion musculaire en glycogène après un match de football de haut niveau est comprise entre 2 et 3 jours. 
  • Les lésions musculaires – Nombre d’activités impliquent des contractions musculaires excentriques (décélération, tacles, sauts) qui ont le potentiel d'induire des dommages musculaires. Ceux-ci sont attribués à une perturbation mécanique de la fibre, à savoir des dommages membranaires, des perturbations myofibrillaires caractérisées par une désorganisation du myofilament et la perte de l’intégrité du disque Z, tandis que les dommages secondaires sont liés à des processus inflammatoires et aux changements dans le couplage excitation-contraction dans les muscles. En conséquence de quoi, les marqueurs suivants sont actuellement utilisés pour étudier les dommages musculaires : la force maximale de contraction, les marqueurs sanguins tels les CPK et la myoglobine, les douleurs musculaires, l'amplitude des mouvements et l’œdème musculaire.
  • L’impact mental – On parle aussi de stress psychologique chez les joueurs en raison de la nécessité d’une concentration soutenue, d’habiletés de perception et de prises de décision combinées à la pression de l'adversaire. L'exécution d'une tâche de vigilance, quantifiée par le nombre d'erreurs, se détériore considérablement au cours des 30 dernières minutes de la seconde mi-temps. Les désagréments et le stress des déplacements sont un autre facteur qui peut augmenter la fatigue mentale des joueurs. Les effets néfastes signalés lors des déplacements sur les performances sportives peuvent s'expliquer par la perturbation des rythmes circadiens (décalage horaire ou arrivée pendant la nuit) et/ou le processus de déplacement, ainsi que par le stress associé : la restriction des mouvements ; un environnement de sommeil inconnu entraînant des troubles et une mauvaise qualité du sommeil. Le résultat du match (victoire contre défaite) peut également influencer l'état d'esprit et affecter la fatigue mentale après le match. 

Pour ce qui est de l’évaluation des paramètres physiques et des marqueurs subjectifs et biologiques de la fatigue et de leur cinétique de récupération après effort, on retient que : 

  • La performance anaérobie en sprint est diminuée de 3 à 9% à la fin du match et de 4 à 12% sur les performances en saut (CMJ). Ces performances se normalisent en 72 heures.  
  • La diminution de force des extenseurs du genou peut atteindre 25% après match et 35% pour les fléchisseurs avec une normalisation en 72 h. On sait qu’il s’agit d’un problème particulièrement sensible vue la fréquence élevée des déchirures des ischio-jambiers chez le footballeur.
  • Les amplitudes du genou sont diminuées pendant 48 heures après le match.
  • Les douleurs musculaires (DOMS) culminent généralement dans les 24 à 48 heures après l'exercice, un phénomène induit par le travail excentrique. 
  • Les CPK augmentent immédiatement après l'exercice, de l’ordre +70% à +250%, pour culminer 24 à 48 heures après le match et revenir à ligne de base entre 48 et 120 heures après, selon l'amplitude du pic. Mais les CPK en tant que marqueurs des lésions musculaires sont discutables. Les joueurs de football professionnels participant à un entraînement quotidien ont des valeurs de CPK élevées au repos qui rendent difficile l'établissement de valeurs de référence.
  • L'InterLeukine-6, marqueur de l’inflammation, joue un rôle initial dans la cascade des cytokines. Elle atteint un pic immédiatement après le match, diminue rapidement vers les niveaux d'avant l'exercice et se normalise 24 heures après le match.
  • Concernant le cortisol, des résultats contradictoires sont présents dans la littérature. Les concentrations de testostérone dans certaines populations de sportifs sont encore réduites 72 heures après avoir joué des matchs complets de compétition consécutivement. Il serait ainsi plus utile de suivre les variations de testostérone (hormone anabolique) que les variations de cortisol (hormone catabolique) pour déterminer le degré de fatigue chez les sportifs.

Des facteurs intrinsèques, comme l’âge, le niveau d’entraînement, le sexe, la typologie des fibres musculaires, peuvent expliquer la différence de potentiel de récupération des joueurs au sein d’un même effectif. Savoir les identifier est un prélude à l’individualisation des protocoles de récupération.

L'échauffement des Bleus avant France-Croatie 2018

Voilà pour la théorie, simple et connu par endroit (déshydratation, déficit en glycogène, courbatures liées au travail excentrique …), plus compliquée par ailleurs (le pic d’InterLeukine-6 par exemple), qu’il faut savoir ensuite utiliser au quotidien. Voici les précisions de Grégory Dupont, co-auteur de l’article, sur ce sujet aussi ardu que passionnant. 

Dans certains topos, l’acidose induite par la pratique sportive est proposée comme facteur de fatigue. Qu’en est-il ?

L’accumulation d’acide lactique dans la cellule musculaire est souvent considérée comme une cause principale de la fatigue sur la base de l’existence d’une relation significative entre la baisse de force et l’augmentation de lactate et de protons au niveau de la cellule musculaire. Cependant l’existence de cette relation n’implique pas nécessairement un lien de cause à effet : à des températures correspondantes à celle de l’organisme humain, la diminution de pH a très peu d’effets sur la contraction et la fatigabilité du muscle. De la même manière, une oxydation plus rapide du lactate n’implique pas nécessairement une meilleure récupération puisque les performances d’exercices subséquents ne sont pas meilleures chez les athlètes qui commencent un exercice avec des concentrations de lactate plus faibles. En résumé, cette hypothèse de l’acidose comme facteur de fatigue a été sérieusement remise en cause.

Un joueur en surpoids est-il à même de présenter une fatigue plus précocement en cours de match ou d’un entraînement ? Prends-tu en compte le poids et la masse grasse de tes joueurs dans tes stratégies de travail ?

Effectivement, un joueur en surpoids, et plus spécifiquement le joueur avec un excès de masse grasse, va se fatiguer plus rapidement. Il va devoir supporter une charge additionnelle inutile qui va être préjudiciable à la puissance qu’il va devoir développer et surtout la durée pendant laquelle il va maintenir cette puissance. Pour évaluer cette masse grasse, il est préférable de l’évaluer au moyen de la DEXA (Dual-Energy X-ray Absorptiometry) qui permet une mesure fiable de la composition corporelle. Ensuite, on propose des exercices supplémentaires pour accroître la dépense énergétique et on s’assure de réduire les apports énergétiques tout en maintenant les apports en protéines pour générer une perte de masse grasse et un maintien, voire un développement de la masse musculaire.

Quels sont les tests du bilan de début de saison qui peuvent t’aider à déceler des joueurs qui risquent d’être en difficulté dans ton programme de présaison ? Je pense à la mesure de la VMA par exemple.

Au début de saison, la batterie de tests à réaliser doit se faire en étroite collaboration avec le médecin et les kinés. Les tests permettent d’individualiser les exercices, la charge de travail et de réduire le risque de blessure. Au niveau des tests, il faut sélectionner les tests qui vont être utiles pour réduire les blessures et permettre aux joueurs de progresser de manière optimale. Il existe les tests isocinétiques, les tests de sprints, les tests de force isométrique, les tests de détente (SJ, CMJ), le Y-test, le T-test, les tests de VMA, des mesures d’amplitudes articulaires, les tests de mesure la puissance maximale, de force maximale, etc. L’intérêt peut être également d’avoir des valeurs de référence et d’utiliser ces valeurs comme critères de retour au jeu lors d’une blessure. Le test de VMA permet clairement de déterminer le niveau des joueurs, et par conséquent les besoins, et d’individualiser les séances de course pendant la période de préparation.

As-tu des données d’entraînement ou de match qui peuvent t’aider à déterminer des niveaux de fatigue ? Données GPS, FC par exemple.

Les données GPS sont des variables de charge externe qui fournissent des informations sur l’activité des joueurs à l’entraînement et/ou en match. Pour les données d’entraînement, il est surtout intéressant de déterminer au préalable un intervalle de données dans lequel on devrait se situer, et de vérifier que l’objectif a été atteint. Dans ce cadre, on l’utilise pour quantifier la charge d’entraînement. On peut utiliser ces données GPS sur une tâche bien définie où le joueur doit donner son maximum sur un temps donné, on étudie ensuite le niveau de performance, en sachant qu’une baisse de la performance physique pourrait refléter un niveau de fatigue. Pour les données de match, c’est un peu différent puisqu’une baisse de la performance physique n’est pas nécessairement associée à une fatigue, d’autres facteurs peuvent influencer les données physiques comme le système de jeu, l’évolution du score, le niveau technique et tactique des joueurs, l’intelligence de jeu, etc…

Pour la FC, il s’agit d’un marqueur de charge interne, c’est la réponse de l’organisme lors de la réalisation d’une activité physique ou un stress. La FC ne permet pas de déterminer un niveau de fatigue, plutôt une adaptation de l’organisme à l’entraînement. Par exemple, la FC maximale a tendance à diminuer avec une amélioration de l’aptitude aérobie. La variabilité de la FC est également utilisée dans des activités où la charge d’entraînement est très lourde et pourrait contribuer à détecter des niveaux de fatigue.

As-tu un regard particulier sur les tests isocinétiques qui peuvent être faits en début de saison ? Ou as-tu d’autres tests (Nordic Hamstring par ex) qui pourraient t’aider ?

Les tests isocinétiques et le test du Nordic Hamstring ne permettent pas de prédire une blessure. Cependant, ils permettent d’orienter un travail pour renforcer certaines fonctions musculaires et d’avoir des valeurs de référence dans les cas où le joueur se blesse.

La fatigue induite par la répétition des matches tous les 3 jours est un facteur de risque de blessure. Comment te comportes-tu dans la gestion des séances ?

Lors de la répétition de matchs avec moins de 96 heures, le risque de blessure est multiplié par 6,2. Les joueurs n’ont pas entièrement récupéré lorsqu’ils jouent moins de 72 heures après le premier match. Dans ces conditions, le mieux est de privilégier la récupération et de ne pas ajouter de contraintes musculaires entre les 2 matchs.

On lit que l’âge peut diminuer le potentiel de récupération des joueurs. As-tu une gestion particulière des séances avec les trentenaires, en début ou en cours de saison ?

On entend effectivement que l’âge peut diminuer le potentiel de récupération des joueurs, mais cela ne s’est pas vérifié dans les tests de récupération que l’on a pu réaliser. En revanche, les blessures sont plus fréquentes chez eux. Les trentenaires ont l’avantage de mieux se connaître et de pouvoir gérer plus facilement les contraintes d’entraînement.

Tu as utilisé un temps les questionnaires de fatigue. Qu’en est-il aujourd’hui ?

J’utilise toujours ces questionnaires de fatigue. Dans notre étude avec l’UEFA publiée en 2018 (2), nous avons pu montrer qu’un niveau de fatigue élevé lors de ces questionnaires était associé avec un risque de blessure important. La fatigue ressentie est fondamentale et doit être également évaluée.

Il est question du cortisol, de la testostérone et des CPK dans l’article. Ce suivi biologique avait été mis en place dans les années 80/90 dans certains clubs. Le ratio testostérone/cortisol pour le risque de surentraînement, les taux de CPK pour voir l’impact d’une séance de travail … Est-ce encore d’actualité dans le football ?

Le ratio testostérone sur cortisol a été proposé pour suivre les adaptations au stress de l’entraînement. Ainsi, un ratio élevé suggère une bonne adaptation à l’entraînement. Cependant une diminution de ce ratio n’est pas systématiquement associée à un état de surentraînement. De plus, la validité des prélèvements salivaires pour doser ces hormones restent à établir. En résumé, ce ratio est un indicateur parmi d’autres, mais l’évolution de la performance reste le meilleur indicateur, à ma connaissance. 

Lors de dommages musculaires, des protéines musculaires en créatine kinase sont libérées dans le plasma sanguin. Après un match, les concentrations en CK atteignent un pic entre 1 et 2 jours et nécessitent entre 3 et 5 jours pour retrouver leur niveau initial. L’utilisation de la CK, comme un marqueur des dommages musculaires, a été remise en cause par la communauté scientifique et aucune association n’a été trouvée entre ces concentrations en CK et leur évolution au cours du processus de récupération et le risque de blessure.

Dans un prochain article et toujours avec la collaboration de Grégory Dupont, nous verrons quelles sont les stratégies aujourd’hui admises pour une meilleure cinétique de récupération.

  1. Nedelec M, McCall A, Carling C, Le Gall F, Berthoin S, Dupont G - Recovery in Soccer Part I – Post-Match Fatigue and Time Course of Recovery. Sports Med, 2012, 42, 1-19. 
  2. McCall A, Dupont G, Ekstrand J - Internal workload and non-contact injury : a one-season study of five teams from the UEFA Elite Club Injury Study. Br J Sports Med, 2018, 52, 1517-1522.