Je vous propose cette fois-ci de parler de préparation athlétique sur la base d’une étude de 2020 (1) qui recherche l’influence de la charge de travail sur la survenue des blessures chez des footballeurs professionnels. Elle est très intéressante car elle mesure la difficulté de trouver des marqueurs fiables de charge de travail pour expliquer les blessures et donc les anticiper. Pour compléter le propos, nous avons posé quelques questions à Cyril Moine, préparateur physique de l’équipe de France de football, sur la façon qu’il a d’intégrer la notion de prévention des blessures dans sa programmation hebdomadaire.
Typiquement, les joueurs de football de l’élite subissent en moyenne deux blessures par saison, ce qui fait environ 60 blessures pour un groupe de 25 à 30 joueurs (2). Il a été suggéré qu’une charge de travail inadaptée pouvait être un facteur de risque pour la survenue de blessures (3). En particulier, une augmentation soudaine de la charge de travail (4) ou au contraire une charge de travail insuffisante (5) pouvaient contribuer à une augmentation du risque de blessures. C’est pour mieux appréhender ces variations de charge de travail qu’est né le ACWR (Acute:Chronic Workload Ratio) (6). Il est calculé en divisant la charge de travail d’une semaine par la charge de travail hebdomadaire moyenne des 2, 3 ou typiquement des 4 semaines précédentes (7) comme dans cette étude. Certains auteurs ont suggéré que, si l’ACWR se trouvait dans un intervalle compris entre 0.85 et 1.35, il était possible de réduire statistiquement le risque de blessure (8). Entre autres, Colby a noté que les joueurs ayant un ratio « modéré » pour les distances de sprint avaient un risque de blessure plus faible comparé aux joueurs ayant des ratios « extrêmement élevés » ou au contraire « extrêmement bas » (9). Ceci suggère ainsi qu’une augmentation rapide du nombre de sprints à l’entraînement sur un délai court devrait être évité pour réduire la fréquence des lésions musculaires (4,10). Ce concept a été récemment porté par Josper qui situe l’ACWR idéal entre 1.00 et 1.25 (9). C’est en adéquation avec des études récentes dans différents sports qui suggèrent qu’une augmentation progressive des séances de sprints dans le temps est préférable pour avoir une diminution des blessures musculaires (5).
Dans l’étude qui nous concerne, seules les blessures sans contact sont retenues. Les données physiques des 28 jours qui précèdent ces blessures (n=264) sont recueillies chez 192 footballeurs professionnels. Les données médicales (le type de lésion, musculaire, tendineuse et ligamentaire ; la sévérité : nombre de jours d’arrêt) sont colligées par le staff médical. Les charges de travail sont déterminées par GPS et l’analyse des paramètres suivants : distance totale parcourue ; distance des courses à haute intensité (> 5.5 m/s-1) ; distance totale des sprints (> 7 m/s-1). Le ratio charge aigüe/charge chronique (ACWR) est calculé pour chacun des paramètres (distance totale, courses à haute intensité et sprints). 124 blessures des membres inférieurs sont incluses dans les statistiques (79 lésions musculaires, 28 tendinopathies et 17 entorses). Aucune différence n’a été retrouvée dans les charges de travail cumulées entre les pathologies musculaires, ligamentaires et tendineuses. Les corrélations entre chacune des variables de la charge de travail et la gravité des blessures n’ont mis en évidence aucune association significative.
Alors tout ça pour ça me direz-vous ? Cette étude a le mérite de renforcer l’idée que ces seules variables de charge de travail utilisées ne sont pas assez sensibles pour différencier les différents types de blessure entre elles et leur sévérité chez le footballeur professionnel. Les auteurs constatent également que la grande majorité de leurs 142 blessures est survenue dans la zone médiane, là où le risque lésionnel est sensé être le plus bas (8). Il faudra donc continuer à analyser les données des GPS pour tenter de trouver le facteur x de la charge de travail.
L’équation reste compliquée. Le risque de blessure est 6 à 10 fois plus élevé en match qu’à l’entraînement. Plusieurs études ont bien montré que le risque de blessure augmentait avec la répétition des matches lorsqu’ils sont au rythme de deux par semaine (13). Il s’agit bien là de charge de travail et l’enchaînement des matches doit être particulièrement bien pensé. Tout l’ajustement du travail se fait ensuite à l’entraînement. Ainsi, de façon très pertinente pour les remplaçants qui doivent très vite, juste après le match ou le lendemain au plus tard, avoir une charge de travail la plus proche possible de celle d’un match afin d’être sensiblement au même niveau que les titulaires. Si c’est juste après le match sur le terrain, le temps étant souvent compté, les préparateurs physiques prennent la main pour un travail court à base d’efforts intermittents, 5-15, 10-10 ou 15-15, mais toutes les variantes sont possibles, sur une durée totale de 20 minutes environ. Lorsque la séance a lieu le lendemain au centre d’entraînement, les entraîneurs proposent généralement après un échauffement : un travail technique ; des « évolutions » au poste devant le but sur un mode intermittent et des jeux réduits (sur deux surfaces de réparation, 4 contre 4 c’est selon le nombre de joueurs disponibles, 3 à 5 fois 4 minutes), sur une durée globale d’une heure. Les séances suivantes sont alors collectives et on retombe sur la quantification du travail, plus facile celle-ci, car maîtrisable qualitativement et quantitativement et donc moins à risque de blessure. Normalement. Parce qu’un exercice mal réalisé sans tenir compte des antécédents du joueur *, trop répétitif, mal situé dans la semaine ou réalisé sur un état de fatigue peut être à lui seul un facteur de risque. Tout comme sera à risque l’absence de soins d’une pathologie encore bénigne (entorse stade 1, contracture musculaire). Tout comme un défaut de travail global de prévention ou mieux encore ciblé sur les antécédents du joueur (on pense aux lésions musculaires qui ont une tendance naturelle à récidiver) si on n’y prend pas garde. Tout comme un mauvais chaussage. Et la liste est longue, on aura l’occasion d’en reparler.
On reste pourtant persuadé qu’une bonne adaptation de la charge de travail fait partie intégrante de la prévention des blessures. Ce n’est pas une mince affaire chez le footballeur aux temps de jeu variables hors blessure. Ceci souligne la complexité de définir des facteurs de risque associés à des blessures (3,12), celles-ci étant résolument multifactorielles.
Voici ce que nous dit Cyril Moine sur sa façon d’intégrer la prévention des blessures dans la programmation athlétique.
Est-ce que la prévention des blessures est une problématique importante dans ta programmation des charges de travail ou bien n’est-ce pas du tout ton problème et alors ton seul souci serait la seule performance athlétique des joueurs ?
La prévention des blessures est l’une des composantes dans la programmation des séances d’entraînement en club. Cette programmation intervient généralement après avoir effectué une batterie de tests en début de saison et au cours de la saison afin de mesurer l’évolution. Elle vise à compenser les éventuels déséquilibres musculaires ou certaines faiblesses.
Mise en place avec les membres du staff médical et en adéquation avec la séance proposée par le staff technique, elle s’inscrit plutôt dans une forme de routine que le joueur peut effectuer avant l’entraînement, voire après l’entraînement pour certains exercices.
Si sa charge de travail me paraît comme étant neutre, son impact sur la séance est difficilement quantifiable mais elle ne doit surtout pas impacter de manière négative l’entraînement qui suit ou pire provoquer une blessure. Les exercices et la programmation du volume de cette routine doivent donc être parfaitement maitrisés.
Quels paramètres (données du GPS, charge interne, RPE …) utilises-tu pour être le plus juste possible dans la prévention des blessures, entre charge minimale et charge à ne pas dépasser ?
L’utilisation des données GPS (mesure de la charge externe), de la fréquence cardiaque ou de la prise d’acide lactique (mesure de la charge interne) doit permettre au préparateur physique de quantifier de manière la plus pertinente possible la charge du travail pour éviter les blessures musculaires. Effectuée la plupart du temps après l’entraînement, elle doit se faire réellement en direct afin de ne pas faire basculer le joueur au-delà de ses possibilités physiques du moment.
Une même charge externe peut avoir un impact différent sur l’organisme en fonction de l’état de forme du joueur. Il faut donc savoir évaluer très précisément l’impact de cette charge externe sur l’organisme, donc savoir évaluer la charge interne.
L’utilisation des RPE doit permettre au staff technique de déceler un éventuel problème avant l’entraînement (sommeil, stress, fatigue…) afin d’ajuster la séance prévue : il faut pour cela que les réponses au questionnaire soient faites de manière honnête et juste car cette méthode de recueil des données reste trop subjective.
A partir des data des matches et des tests physiques, le staff technique doit être capable de définir pour chaque joueur des limites afin de proposer un volume d’entraînement qui ne provoquera pas de blessure.
A cela s’ajoute l’entraînement invisible du joueur : son hygiène de vie qui a un impact conséquent sur la récupération et donc la capacité d’ingérer les charges de travail imposées par le staff.
Est-ce qu’on peut imaginer que le paramètre « charge de travail » soit très individuel et donc différent d’un joueur à l’autre ?
L’individualisation des entraînements doit se faire en fonction du poste du joueur et bien évidemment en fonction des capacités physiques de chaque joueur. Même si la grande partie de l’entraînement se fait la plupart du temps de manière générale, une partie doit tendre vers l’individualisation. La charge de travail doit donc s’adapter en fonction de la charge externe souhaitée et de la charge interne mesurée en direct.
Sur les séances les plus importantes, le staff part sur une certaine programmation de séance qu’il adaptera au besoin en fonction des mesures relevées sur le terrain. Certains joueurs pourront quitter la séance avant les autres (joueurs jouant le plus) alors que d’autres pourront inversement rester plus longtemps pour effectuer des exercices complémentaires (joueurs jouant le moins).
La prévention des blessures est une mission essentielle du médecin de club et du staff médical dans sa globalité. Si on ne maîtrise pas concrètement la charge de travail globale du joueur, il est de notre responsabilité de mettre en place les outils pour mesurer les niveaux de fatigue des joueurs. Idéalement, ceci se fait en collaboration avec le staff technique et les préparateurs physiques. Les changements fréquents ou incessants de staff technique dans les clubs rendent les choses difficiles sur la durée, très compliquées pour peu que l’on se trouve face à un mur. Raison de plus pour mettre en place les éléments pérennes du suivi et gagner en autonomie. A cela doit s’ajouter l’expertise médicale sur l’individualisation du travail de prévention, essentiellement sur la base de la connaissance des antécédents du joueur et les évaluations cliniques et paracliniques de début de saison ou à la signature, on y reviendra ; à savoir donc des exercices à réaliser en plus du programme, une sorte de routine de travail avant ou après la séance ; et tout aussi important, des exercices à ne pas faire, car contre-indiqués.
*Je vous présenterai prochainement le cas clinique d’un joueur vu en consultation et qui vient de se faire opérer d’une enthésopathie patellaire proximale évoluant depuis 2 ans, donc un antécédent connu qui doit normalement nécessiter une adaptation du travail qualitatif en salle et sur le terrain, et dont la dernière séance fatale de préparation physique a été un travail de renforcement musculaire / pliométrie dans la tribune du stade. Même si on peut penser qu’il aurait fini de toutes les façons par se faire opérer, on reste étonné que le travail athlétique des joueurs en salle ou sur le terrain ne soit pas plus individualisé que cela.
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