Je vous propose un cas clinique qui est l’exemple type du choix cornélien auquel on peut être confronté parfois, entre traitement chirurgical et traitement fonctionnel, du fait de la pathologie bien sûr, mais aussi du moment dans la saison. Plusieurs années après, le résultat fonctionnel est toujours excellent chez ce joueur. Mais la même pathologie en septembre nous aurait peut-être amené à proposer un autre traitement.
Le 11 avril, à la 50e minute d’un match à Lille, Mike ressent une violente douleur en coup de couteau en haut de la cuisse droite, sur un dégagement du pied droit. Il demande à sortir immédiatement. L’examen clinique dans le vestiaire et le lendemain est en faveur d’une lésion proximale du droit fémoral droit.
Le 12 au matin, l’IRM (voir clichés ci-dessous) retrouve une rupture complète des deux tendons du droit fémoral, direct et réfléchi. La rétraction est importante, la masse musculaire étant distante de 4 cm de l’épine iliaque antéro-inférieure. Le rassemblement pour le championnat d’Europe Espoirs débute dans 6 semaines et le sélectionneur doit donner sa liste quelques jours avant. Après avoir échangé avec l’orthopédiste référent du club, on élimine un traitement chirurgical. On prend le parti d’un traitement fonctionnel (drainage, mobilité, renforcement) et on annonce à Mike un délai de 4 à 6 semaines, avec donc de réelles chances de faire partie du groupe. Le protocole RICE est mis en route pour quelques jours avec un traitement médicamenteux antalgique.
À J2, la marche est possible lentement, la flexion de hanche également, alors qu’elle était sidérée pendant 2 jours. À J5, la marche est normale, la montée des escaliers également. Sur table, l’étirement est indolore, la contraction contre résistance est quasi indolore sans forcer, la palpation retrouve une légère encoche à l’extrémité proximale du droit fémoral. Le volume musculaire est conservé. On débute le travail sur vélo, sans autre objectif que la non-douleur qui va rester le garde-fou de toute la rééducation. On envisage le travail de renforcement excentrique à compter du milieu de la semaine suivante.
Le travail en piscine est intensifié à partir de J10 (course, sauts, gestuelle spécifique au gardien de but). À J13, l’examen clinique retrouve une encoche plus marquée en haut du quadriceps. Le muscle est plus globuleux. La force en extension du genou est presque normale. L’étirement est indolore. La palpation est très légèrement sensible, indolore. On travaille les éducatifs de course avant la reprise du footing à J16. On pratique des soins locaux, massages, drainage, crochets, laser, et Mike monte sur le vélo 2 fois 15 minutes par jour.
À J16, l’examen clinique est identique. Il débute la course par 2 fois 10 minutes à 10 km.h-1 sur tapis roulant. Il court toute la semaine, travaille avec élastique, enchaîne les exercices fonctionnels (sauts, détente verticale, appuis, position assise/debout). À J20, le résultat fonctionnel est très bon. L’examen retrouve une zone infiltrée cicatricielle sur le droit fémoral en proximal. Le muscle autour est souple. La contraction conte résistance est toujours négative, l’étirement aussi, avec une raideur qui s’installe. On met en place le programme de travail pour la quatrième semaine : des soins locaux (laser, MTP, crochets), un travail excentrique du quadriceps (on démarre à 80 Nm et on augmente tous les jours de 10 Nm, à 5°/s initialement, puis 10°/s à partir de 100 Nm, puis 30°/s à 120 Nm, 3 fois 10 répétitions, dossier incliné), un travail en salle (mobilités, renforcement global des membres inférieurs, proprioception), 6 minutes de course sur le terrain (15-15 à 5-25) et, enfin, un travail spécifique au poste avec l’entraîneur des gardiens de but (30 à 40 min). À J26, tout va bien. Les frappes de balle sont appuyées, à 25-30 mètres environ. Il n’existe aucune mauvaise sensation sur les appuis, impulsions et détentes. Le travail excentrique du quadriceps est quotidien, à 150 Nm ce jour.
Il reprend l’entraînement avec le groupe à J30. Sur un dernier dégagement, il ressent une pointe douloureuse sur la cicatrice. Il préfère arrêter la séance qui tirait à sa fin. L’examen clinique est quasi normal, seule la palpation est sensible sur le cordon fibreux. Il vient avec nous à Nice, mais regarde le match en tribune alors qu’il devait jouer. Le lendemain matin, il part faire une séance spécifique sans problème. Le samedi 19 mai, veille de match, il s’entraîne normalement, avec une petite sensibilité permanente en haut de la cuisse qu’il juge positivement. On lui explique qu’il ne peut pas déchirer son muscle plus qu’il ne l’a déjà fait. À l’échographie, le volume de l’hématome au niveau de l’espace entre l’EIAI (épine iliaque antéro-inférieure) et le bord supérieur du droit fémoral est mesuré entre 15 et 20 cc. Aucune ponction n’est prévue pour le moment, à discuter en fonction des sensations. Il est planifié qu’il joue le lendemain contre Montpellier. Le match se passe sans problème, avec une petite gêne stable pendant le match. Idem contre Guingamp.
Le 28 mai, il est retenu dans la liste des joueurs qui vont participer au championnat d’Europe Espoirs en Allemagne.
Quels niveaux de force musculaire peut-on espérer récupérer sur une rupture totale haute du droit fémoral ? N’est-ce pas finalement plus simple à rééduquer qu’une rupture partielle ? Quelle est la place de la chirurgie dans la rupture totale haute du droit fémoral ? Est-il logique de proposer une ponction de l’hématome restant ?
La rupture complète de l’insertion haute du droit fémoral n’est pas exceptionnelle chez le footballeur, souvent en 2 ou 3 épisodes itératifs de déchirure jusqu’à la rupture complète.
Elle survient au cours de la frappe de balle, le plus souvent sur la phase excentrique.
Le traitement est médical de principe, avec des retours en compétition à 70 jours dans certaines séries (1). Pour avoir échangé avec d’autres collègues, il nous semble que les délais de retour à la compétition chez le footballeur professionnel dans un environnement médical adapté sont de 6 semaines environ, avec un retour à des niveaux de force proche de 100 %.
Cependant, certains chirurgiens préconisent une réinsertion side-to-side sur le vaste latéral après excision du tissu cicatriciel musculo-tendineux proximal (2). Dans ce cas, le retour à la compétition nécessite un peu plus de 3 mois, avec de très bons niveaux de force sur le quadriceps. La réinsertion du droit fémoral sur son enthèse donne de bons résultats également, mais des délais de retour au sport à près de 4 mois (3). La solution chirurgicale n’emporte manifestement pas l’adhésion des médecins de terrain.
La ponction de l’hématome n’a aucun intérêt à priori, mais est tentée par certains s’il est liquidien et non cailloté.
La rupture complète est sans doute plus simple à gérer que la rupture subtotale qui amène à des délais beaucoup plus longs de retour sur le terrain. À ce titre, la lecture du CC d’un joueur ayant mis 115 jours pour revenir dans le groupe à son meilleur niveau est tout à fait intéressante (4).
- Gamradt SC, Brophy RH. Non operative treatment for proximal avulsion of the rectus femoris in professionnal american football. Am J Sports Med, 2009, 37, 1370-1374.
- Sonnery-Cottet B, Barbosa NC, Tuteja S, Gardon R, Daggett M, Monnot D, Kajetanek C, Thaunat M. Surgical management of rectus femoris avulsion among professionnal soccer players. Orthop J Sports Med. 2017, 23, 1-6.
- Garcia VV, Duhrkop DC, Seijas R, Ares O, Cugat R. Surgical treatment of proximal ruptures of the rectus femoris in professional soccer players. Arch Orthop Trauma Surg. 2012, 132, 329-333.
- Olmo J, Aramberri M, Almaraz C, Nayler J, Requena B. Successful conservative treatment for a subtotal proximal avulsion of the rectus femoris in an elite soccer player. Physical Therapy in Sports. 2018, 33, 62-69.