Dans un papier précédent (3 mars 2021), je rapportais les conclusions de 2 études sur la rupture du LCA :
- L’incidence des ruptures au plus haut niveau européen masculin ne diminue pas depuis 20 ans, voire augmente mais de façon non significative, laissant entendre que les programmes de prévention ne sont pas aussi efficaces chez l’homme qu’ils le sont chez la femme
- L’incidence élevée de re-rupture et de rupture du côté controlatéral (7%) laisse à penser que des efforts doivent être faits sur les critères de RTP (critères cliniques et paracliniques) afin de prévenir ce risque toujours dramatique pour les joueurs concernés.
En pratique, il ressortait de ces deux études qu’une attention particulière devait être portée au RTP chez le footballeur opéré d’une ligamentoplastie après rupture du LCA. La réadaptation sur le terrain, les critères de RTP et le suivi après son retour dans le groupe doivent être très précis du fait du risque non négligeable de rupture de la plastie ou de rupture controlatérale. En termes de prévention primaire, l’augmentation même non significative des ruptures du LCA au plus haut niveau au cours des 20 dernières années doit nous amener à proposer des programmes très ciblés sur le genou, comme chez les femmes. Et sans doute dès le plus jeune âge. Je vous propose de poursuivre la réflexion sur la base de ces 4 articles.
Le premier article de 2020 est écrit par une équipe suédoise (1). Les auteurs ont suivi pour cette étude tous les jeunes footballeurs suédois de haut niveau, garçons et filles, âgés de 15 ans au moment du rassemblement national Elite (l’équivalent suédois de notre Coupe Nationale des Ligues qui permet de sélectionner les joueurs de l’équipe de France U15), de 2005 à 2011. Ceci représente un total de 5285 joueurs, 2631 garçons et 2654 filles. L’âge de 21 ans a été retenu pour comparer les niveaux de pratique avant et après blessure.
Sur 5285 footballeurs, 524 ont eu une ligamentoplastie (9,9%) dont 292 joueurs (5,5% ; 75 garçons et 217 filles) qui se sont blessés entre 15 et 19 ans. Près d’un quart de ces joueurs (n=122) a subi une nouvelle intervention, soit une reprise de la plastie (n=60), soit une ligamentoplastie pour une rupture controlatérale (n=62). A l’âge de 21 ans, 570 joueurs (10.8%) jouaient dans une équipe de l’élite (296 filles, 274 garçons). Statistiquement, avoir subi une ligamentoplastie entre 15 et 19 ans n’empêchait pas les joueurs de jouer au plus haut niveau. Ainsi en comparaison, 12% des garçons opérés ont atteint le haut niveau à 21 ans (contre 10,3% chez les non opérés) et 11,5% chez les filles opérées (contre 11,1% chez les non opérées). Il n’y a aucune différence non plus entre les groupes 15-17 ans et 18-19 ans.
Cette étude montre qu'il est possible pour les jeunes footballeurs ayant eu une ligamentoplastie du LCA d'atteindre le niveau élite à l'âge adulte, ce qui est très positif évidemment. Mais les auteurs constatent qu'environ 1 joueur sur 4 ayant eu une ligamentoplastie du LCA avait subi une seconde opération du LCA, ce qui est beaucoup trop. Et ce suivi n’inclut pas la carrière entière des joueurs, laissant penser que l’incidence des lésions du LCA est plus élevée. Le risque élevé de nouvelle rupture du LCA est très documenté dans la littérature (2,3,4,5). Ceci implique que la faible chance de devenir professionnel (1 joueur sur 10 à 15 ans atteint le haut niveau à 21 ans) et le risque élevé autour de la santé de ce genou doivent vraiment être considérés par le joueur et les professionnels de la santé avec toute l’attention nécessaire en termes de prévention.
Le deuxième article de 2017 évalue l’impact du programme de prévention des blessures FIFA 11+ sur l’incidence des ruptures du LCA (6). Il y a environ 200 000 blessures du LCA qui surviennent aux États-Unis chaque année, ce qui en fait le ligament du genou le plus souvent blessé (7,8). Gilchrist et coll. (9) ont noté que 31% des footballeurs de division 1 interrogés avaient des antécédents de blessure au genou et 14% avaient des antécédents de rupture du LCA.
Au cours des trois dernières décennies, des programmes efficaces de prévention des blessures du LCA ont été développés, notamment pour les sports à haut risque (9,10). Beaucoup de ces programmes se sont concentrés spécifiquement sur les joueuses, beaucoup plus à risque que les garçons (9,10,11). Ils ont inclus une variété d'exercices de renforcement musculaire, de pliométrie et de coordination qui ciblent les déficits majeurs les plus souvent associés aux blessures du LCA (12).
Le programme de prévention des blessures FIFA 11+ a été conçu pour traiter toutes les blessures liées au football, pas seulement les blessures du genou ou la rupture du LCA (13). L'efficacité du programme a été documentée et une diminution du taux global de blessures a été observée chez les joueurs de football, hommes et femmes (13,14,15). Selon les études et les populations testées, il réduirait ainsi les lésions des ischio-jambiers de 60%, les pathologies de hanche et de l’aine de 41%, du genou de 48% et de la cheville de 32%.
Cette étude a été menée auprès des footballeurs de Division 1 and Division 2 de la NCAA (National Collegiate Athletic Association), le championnat universitaire américain, pendant la saison 2012. Le programme FIFA 11+ a permis de réduire de 77% le taux d'incidence global des ruptures du LCA, résultat particulièrement intéressant sur cette population. Il n'y avait aucune différence dans les taux de blessures en fonction du type de surface, du contexte match ou entraînement, entre division 1 et 2 ou encore selon le poste des joueurs.
La troisième étude de 2020 se propose d’étudier les mécanismes (contact, contact indirect ou sans contact), les situations de jeu et le positionnement du genou au cours des ruptures du LCA survenues lors des matches de football professionnel de Série A et B (16). 148 blessures du LCA ont été identifiées au cours de 10 saisons. 134 vidéos des blessures (90%) ont pu être analysées pour ce qui est du mécanisme et de la situation de jeu, tandis qu'une analyse biomécanique a été possible dans 107 cas.
Au total :
- 44% des blessures étaient sans contact (n=59), 44% étaient des contacts indirects (n=59) et 12% étaient des contacts directs (n=16).
- On retient quatre situations principales pour les blessures sans contact ou avec contact indirect : le pressing et le tacle (n = 55), le tacle subi (n = 24), la recherche d’équilibre après une frappe de balle (n = 19) et la réception après un saut (n = 8).
- Le positionnement du genou en valgus (n = 83, 81%) était le plus fréquent dans chacune des 4 situations de jeu (86%, 86%, 67% et 50%, respectivement).
En conclusion, 88% des ruptures du LCA sont survenues sans contact direct avec le genou, ce qui apparaît très important et laisse à penser qu’un travail de prévention devrait avoir un impact dans les situations suivantes (pressing, tacle réalisé, réception de saut et recherche d’équilibre après frappe de balle). Sans doute que le tacle subi, même sans contact direct sur le genou, est très difficile à appréhender en prévention. Le tacle est plutôt une situation de match, parfois d’entraînement au cours des oppositions, selon les limites imposées par l’entraîneur. Mais le tacle en lui-même n’est quasiment pas travaillé à l’entraînement, pour ce qui est du tacle à réaliser, et jamais travaillé pour ce qui est du tacle à éviter. Les consignes pendant les jeux sont d’éviter les blessures, ce qui semble assez logique. Si on considère que le mécanisme en valgus (flexion/rotation externe associées) est de loin le plus fréquent, sans doute faut-il se concentrer sur une évaluation pertinente du contrôle moteur de l’appui / réception de saut au niveau du genou et proposer des exercices améliorant ce contrôle, ce que font bien sûr déjà tous les kinés et médecins lorsqu’ils ont en charge une rééducation post-ligamentoplastie ou quand ils mettent en place des exercices de prévention à titre systématique.
La dernière étude de 2021 menée par l’équipe médicale de Clairefontaine nous propose justement une évaluation du contrôle neuromoteur et postural chez des footballeurs de haut niveau (17). Même si elle ne fait que jeter les bases, cette étude prend une orientation très intéressante en termes de prévention. Il y est question de reprogrammation neuromotrice, notion centrale aujourd’hui après toute intervention chirurgicale. C’est un réapprentissage gestuel basé sur le fonctionnement du système sensori-moteur permettant à l'athlète de réaliser à nouveau tout type d'actions motrices et de pouvoir donner une réponse motrice adaptée au stimulus.
Alors quels sont les tests proposés aujourd’hui pour les évaluations ? Le CMJ (flexion de genou avec un angle et une vitesse librement choisie à partir d’une position unipodale debout, dans le but d’effectuer un saut, puis une réception unipodale, avec les mains sur les hanches) et le Landing test, couplés à des systèmes technologiques d’analyse du mouvement humain (plateforme de force 3D, électromyogramme de surface*, vidéo 3D), semblent être les plus révélateurs de ces qualités et sont l’objet d’un grand nombre de travaux notamment sur l’évaluation des facteurs de risques biomécaniques de blessure des membres inférieurs [21]. Les auteurs les ont complétés par le test d’équilibre unipodal statique de Kapteyn (1983), modifié par Gagey (1988) [24], sur 20’’60’’’ avec les mains sur les hanches et le Short Lunge test [25], consistant à réaliser une fente courte amenant le joueur à 90° de flexion de genou pour les deux jambes avant et arrière, sur un tempo d’exécution de 3’’ à la descente excentrique, 1’’ en isométrie bas et remontée concentrique dynamique.
La littérature spécialisée en rehab (terme des anglo-saxons) s’intéresse principalement aux « profils à risque » de blessure notamment pour les LCA (18,19). Ces études, comme celle réalisée à Clairefontaine, retrouvent un contrôle insuffisant de la partie proximale de l'articulation du genou (abduction), de la rotation interne et de l’adduction de hanche dans le plan frontal et transversal, de l’inclinaison du tronc en latéral et en frontal, notamment la rotation vers la jambe de soutien (20), qui va affecter directement la charge appliquée au genou et notamment la valeur de son valgus. Ces paramètres s’améliorent fort heureusement au cours de la rééducation et de la réathlétisation (17).
Les critères de reprise ont été étudiés dans la littérature, notamment sur les RTP dans les suites d’une rupture du ligament croisé antérieur du genou (21). Nul doute que ces évaluations devraient faire partie du bilan avant RTP, au même titre que les tests de force musculaire par exemple, puisque ces paramètres reflètent les capacités fonctionnelles de l’athlète, à la fois dans la production de force (orientation, activation et création), la gestion du schéma corporel (ajustement et compensation) et le contrôle neuromoteur.
En conclusion, les ruptures du LCA ne diminuent pas au plus haut niveau et sont toujours fréquentes chez les footballeurs amateurs. Les programmes de prévention globaux ou plus ciblés sur le genou apparaissent efficaces d’après les études réalisées, sans doute dépendants des populations étudiées. Comme démontré par les analyses vidéo en match, le mécanisme traumatique en valgus (flexion / rotation externe) est de loin le plus fréquent et l’analyse du contrôle neuro-moteur nous démontre bien que s’il est déficitaire en post-opératoire, il reste largement accessible à un travail ciblé en rééducation et réathlétisation. Donc, il n’y a aucune raison que sur un genou indemne de toute chirurgie, cette prise en charge ne soit pas efficace. Ainsi, avec ou sans évaluation, il apparaît important de porter une attention toute particulière à une parfaite maîtrise de l’appui, la réception de saut et tout autre mouvement qui porterait le genou en valgus.
Un entretien avec Geoffrey Memain au sujet de son étude et quelques questions plus loin, voici ce que l’on peut penser et envisager pour l’avenir :
- Les tests sont-ils reproductibles ? OUI sans retenue
- Chez les sujets sains, retrouves-tu une symétrie droite / gauche ? A priori, il semble qu’il y ait un membre dominant, sans doute le pied d’appui
- Penses-tu possible d’établir des normes ? OUI, mais il existe sans doute plusieurs profils types
- Les tests ont-ils été faits avant et après effort pour évaluer l’impact de la fatigue ? Les tests révèlent une diminution des performances, d’autant plus importante que les tests de base sont faibles (entre 10 et 30% selon les groupes).
- Comment s’en servir en rééducation après ligamentoplastie ? On renforce aussi le côté sain en rééducation. Avec ce travail complémentaire, l’évaluation côté sain sert de base pour le travail du côté opéré. On doit viser le « moins de 10% d’asymétrie » pour valider le RTP et tendre bien sûr vers la symétrie complète.
- Ces bilans doivent-ils faire partie des bilans de RTP après ligamentoplastie ? OUI sans hésitation. Au même titre que l’évaluation de la force musculaire (vaste interne, moyen fessier, ischio-jambiers …), une étude sur plateforme de force est tout à fait envisageable à titre systématique à l’avenir dans les cabinets libéraux ainsi qu’une analyse vidéo non exhaustive à partir d’un smartphone en mode ralenti (flexion et valgus du genou, rotations de hanche, adduction-abduction de hanche, flexion et latéroflexion tronc).
- Sans parler d’évaluation, penses-tu qu’un travail devrait être effectué dès le plus jeune âge ? Nul doute qu’il faut proposer aux plus jeunes un travail de contrôle de cette phase de réception : contrôle du genou, contrôle de hanche, contrôle du rachis. On rejoint là une pratique plus systématique de l’EPS à l’école dès le plus jeune âge, sans que l’on sache si cela suffirait évidemment (importance de l’athlétisation préventive riche à C KELLER & AL MORIGNY).
*Les électromyogrammes de surface sont réalisés sur 6 muscles par membre inférieur (DF : droit fémoral, VM : vaste médial, MF : moyen fessier, BF : biceps fémoral, ST : semi-tendineux et GM : gastrocnémien médial)
Sont étudiés : le niveau d’activation musculaire (en pourcentage de contraction maximale isométrique volontaire %MIVC) et son délai (en ms), ainsi que la coordination intermusculaire.
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